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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/83

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LA JEUNESSE DE RABEVEL

un instant. Mais comme la conversation se continuait, un peu de malaise les sépara. Chez Bernard se déclaraient les appétits, l’avidité de jouissance, de pouvoir, de luxe ; l’autre, de race plus ancienne, et plus affinée, dénonçait un goût de la spéculation pour elle-même, une sorte de désintéressement aiguisé, une supérieure intelligence de la combinaison et du nombre. Bernard fut un instant à le comprendre puis il sourit, se frotta les mains, se sentit comme débarrassé d’un grand poids. Cet Abraham trop subtil, ce François trop lyrique, l’un et l’autre au fond n’étaient et ne seraient jamais que des rêveurs. C’était bien lui qui tenait le bon bout.

Il se sentit dès lors ferme, tranquille, tout rassuré, plein de courage. La veille de son départ, le dernier jour qu’il devait passer en famille, il se montra d’une gaieté exubérante. Lazare déclara entre haut et bas que les curés n’auraient pas de mal à « avoir » un étourdi qui allait chez eux de si bon cœur. Chacun cependant était satisfait de lui voir de si bonnes dispositions ; chacun s’avouait au secret de lui-même que la vie serait meilleure loin du garçon dur et sournois qui tenait tant de place dans la maison et, en grandissant, congelait une partie de l’atmosphère chaque jour accrue. Seule, Eugénie était émue de voir partir l’enfant que ses soins avaient tant contribué à sauver.

Ce fut elle qui l’accompagna au collège avec Noë. Celui-ci avait chargé sur son charreton une longue et maigre malle recouverte de soies de truie et qui contenait