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Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/146

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DE LA NATURE DES CHOSES

Tu cherches, tu choisis d’abord, en l’épurant,
L’élément le plus neutre et le moins odorant,
Afin que nul virus n’altère et n’annihile
L’arôme pur des fleurs qui chauffent avec l’huile.
Je dis que ni le son, ni le goût, ni l’odeur
Ne sont, plus que le chaud, le froid ou la tiédeur,
Des vertus par l’atome aux choses départies.
Il n’a point et ne peut émettre de parties.
Le reste, inconsistance ou mollesse des corps,
Corruption, ne sont aussi que des rapports.
L’atome est libre et pur des maux dont les corps meurent.
Il faut que du grand tout les fondements demeurent
Immortels, si tu veux qu’un renaissant effort
Les préserve à jamais de l’incurable mort.

Donc il est avéré que les effets sensibles
Procèdent forcément de germes impassibles.
Loin d’infirmer ce fait, d’ébranler ces leçons,
880Tout ce que nous voyons, sentons et connaissons
Nous conduit par la main et nous force d’admettre
Que l’insensible est l’âme et le foyer de l’être.
Vois-tu, lorsqu’aux sillons trempés profondément
L’hiver pluvieux laisse un putride ferment,
Ces légions de vers en pleine fange écloses ?
Les vivants ne sont faits que de métamorphoses.
Fleuves, gazons, feuillage, en pâture dissous
Se changent en troupeaux, et les troupeaux en nous ;
Et nous-mêmes souvent nous enflons de nos restes
L’aigle au vol souverain et les bêtes funestes.