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Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/156

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DE LA NATURE DES CHOSES

D’aliments nourriciers. Vain labeur ! les viscères
S’usent à charrier tant de sucs nécessaires,
Et la Nature aussi s’épuise à les fournir.
Déjà la terre est vieille et ne peut rajeunir.
Elle n’enfante plus que de chétives formes,
Elle qui donnait l’être à tant de corps énormes,
Et de la vie au loin répandait le trésor !
Car ce n’est pas le ciel qui, par un câble d’or,
Fit descendre en nos champs toute race mortelle ;
Ni le ressac des flots sur les rochers. C’est elle,
Qui tira les vivants du sein qui les nourrit,
1060Elle, dont le travail spontané leur offrit
Les brillantes moissons et la vigne et la joie
Des fécondes amours et l’herbe qui verdoie !
Aujourd’hui nous luttons contre ses flancs ingrats ;
Elle accable nos bœufs, elle épuise nos bras ;
À peine elle fournit du fer à nos charrues ;
Son produit moindre insulte à nos sueurs accrues.

Déjà le laboureur robuste, las de voir
Tout son travail se perdre et tomber son espoir,
Triste, hoche la tête et soupire, et compare
Le passé généreux à notre temps avare.
Il se prend à vanter le sort de ses aïeux,
Disant que ces anciens, cœurs simples et pieux,
En des champs plus petits, certes, mais plus fertiles,
Sous l’œil des immortels coulaient des jours faciles.
Il ne sent pas que tout décline et, sous l’effort