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Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/292

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DE LA NATURE DES CHOSES

Tout vif enseveli dans un vivant tombeau,
Pantelante pâture offerte aux représailles,
Voyant la dent vorace entamer ses entrailles,
Remplissait les forêts de cris désespérés.
Ceux que sauvait la fuite, à moitié dévorés,
De leurs tremblantes mains couvraient leurs noirs ulcères
Et suppliaient la mort de finir leurs misères,
Sans secours, et laissant les vers cruels tarir
1040Leur vie avec le mal qu’ils ne savaient guérir.
Mais on ne voyait pas, comme au siècle où nous sommes,
La guerre en un seul jour faucher des milliers d’hommes,
Ni contre les écueils les colères des flots
Écraser le navire avec les matelots.
C’est en vain que la mer, sans objet irritée,
Déposait par instant sa menace avortée ;
Le sourire menteur de ses apaisements
N’attirait pas de proie en ses pièges dormants ;
L’art naval, art mauvais, restait dans l’ombre encore.
On mourait de besoin ; nous mourons de pléthore.
On prenait le poison par mégarde ; aujourd’hui
L’on ne sait que trop bien l’apprêter pour autrui.

Quand l’homme, utilisant les toisons et la flamme,
Sous un toit conjugal gardant pour lui sa femme.
Reconnut dans les fils nés de leur double chair
Le fruit du chaste amour qu’ils lui rendaient plus cher,
Il perdit quelque peu de sa rudesse antique.
Les corps, faits aux douceurs du foyer domestique,
Bravaient moins bien le froid sous la voûte du ciel ;
1060L’amour amollissait leur grossier naturel ;