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Page:Luzel - Soniou Breiz Izel vol 1 1890.djvu/25

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sont restées le plus chères, mais encore les plus beaux chants qu’il ait recueillis.

Parfois, la porte retentissait, à la « demande d’ouverture » d’un passant. Keramborgne, comme toutes les demeures bretonnes, était une maison hospitalière. On faisait entrer le baléer-bro, le « chemineur de pays », — colporteur ou mendiant. Les rangs se desserraient pour lui faire une place. Il prenait sa part du feu et de la chandelle, et la payait en étalant devant les yeux de l’assistance des images coloriées de couleurs vives, — en rapportant la chronique des contrées voisines, — ou en détaillant son répertoire, toujours très garni, de chansons et de récits de toute sorte.

Le plus étrange de ces nomades fut Ervoanic Hélary. Il arrivait de préférence à la belle saison. C’était un innocent, un pauvre d’esprit, mais robuste de corps, et qui travaillait comme quatre, quand on fanait les foins ou qu’on fauchait les blés. Le soir venu, il adoptait pour lit une auge de pierre, accotée au puits du manoir. Jadis, c’est en des auges semblables, avec des ailes d’anges pour voiles, que les saints de la légende bretonne avaient traversé la mer. Par un singulier privilège, Hélary ne paraissait jamais las. Il passait souvent des nuits entières, les claires et tièdes nuits de juin ou d’août, à contempler, allongé dans sa dure couche, la procession des étoiles au-dessus de sa tête, et à leur chanter sur, un ton de mélopée ou d’hymne d’église, l’interminable litanie de vers que sa mémoire naïve avait retenus. C’était vraiment un étrange garçon, et qui avait une façon assez particulière de concevoir l’existence.

Dans un tel milieu et parmi de telles gens, comment M. Luzel n’eût-il pas appris à goûter tout le charme de la poésie populaire ? Comment n’eût-il pas senti l’intérêt qu’il pouvait y avoir à en recueillir les inspirations suprêmes, en voyant quelle action cette poésie continuait d’exercer autour de lui sur les imaginations, quel