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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/119

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Après une discussion assez vive, Orso dut se résigner à se faire suivre d’une escorte. Il prit parmi ses bergers les plus animés ceux qui avaient conseillé le plus haut de commencer la guerre ; puis, après avoir renouvelé ses injonctions à sa sœur et aux bergers restants, il se mit en route, prenant cette fois un détour pour éviter la maison Barricini.

Déjà ils étaient loin de Pietranera, et marchaient de grande hâte, lorsqu’au passage d’un petit ruisseau qui se perdait dans un marécage le vieux Polo Griffo aperçut plusieurs cochons confortablement couchés dans la boue, jouissant à la fois du soleil et de la fraîcheur de l’eau. Aussitôt, ajustant le plus gros, il lui tira un coup de fusil dans la tête et le tua sur la place. Les camarades du mort se levèrent et s’enfuirent avec une légèreté surprenante, et, bien que l’autre berger fît feu à son tour, ils gagnèrent sains et saufs un fourré où ils disparurent.

— Imbéciles ! s’écria Orso ; vous prenez des cochons pour des sangliers.

— Non pas, Ors’ Anton’, répondit Polo Griffo ; mais ce troupeau appartient à l’avocat, et c’est pour lui apprendre à mutiler nos chevaux.

— Comment, coquins ! s’écria Orso transporté de fureur, vous imitez les infamies de nos ennemis ! Quittez-moi, misérables. Je n’ai pas besoin de vous. Vous n’êtes bons qu’à vous battre contre des cochons. Je jure Dieu que si vous osez me suivre, je vous casse la tête !

Les deux bergers s’entre-regardèrent interdits. Orso donna des éperons à son cheval et disparut au galop.

— Eh bien ! dit Polo Griffo, en voilà d’une bonne ! Aimez donc les gens pour qu’ils vous traitent comme cela ! Le colonel, son père, t’en a voulu parce que tu as une fois couché en joue l’avocat… Grande bête, de ne pas tirer !… Et le fils… tu vois ce que j’ai fait pour lui… Il parle de me casser la tête, comme on fait d’une gourde