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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/154

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Colomba mangeait de bon appétit, se moquant du préfet, du procureur du roi et des voltigeurs. Le colonel mangeait, mais ne disait mot, regardant toujours sa fille qui ne levait pas les yeux de dessus son assiette. Enfin, d’une voix douce, mais grave :

— Lydia, lui dit-il en anglais, vous êtes donc engagée avec della Rebbia ?

— Oui, mon père, depuis aujourd’hui, répondit-elle en rougissant, mais d’une voix ferme.

Puis elle leva les yeux, et, n’apercevant sur la physionomie de son père aucun signe de courroux, elle se jeta dans ses bras et l’embrassa, comme les demoiselles bien élevées font en pareille occasion.

— À la bonne heure, dit le colonel, c’est un brave garçon ; mais, par Dieu ! nous ne demeurerons pas dans son diable de pays ! ou je refuse mon consentement.

— Je ne sais pas l’anglais, dit Colomba, qui les regardait avec une extrême curiosité ; mais je parie que j’ai deviné ce que vous dites.

— Nous disons, répondit le colonel, que nous vous mènerons faire un voyage en Irlande.

— Oui, volontiers, et je serai la surella Colomba. Est-ce fait, colonel ? Nous frappons-nous dans la main ?

— On s’embrasse dans ce cas-là, dit le colonel.

XX.

Quelques mois après le coup double qui plongea la commune de Pietranera dans la consternation (style de journaux), un jeune homme, le bras gauche en écharpe, sortit à cheval de Bastia dans l’après-midi, et se dirigea vers le village de Cardo, célèbre par sa fontaine, qui, en été, fournit aux gens délicats de la ville une eau délicieuse. Une jeune femme, d’une taille élevée et d’une beauté