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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/157

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— Il n’y a pas de ressource en Sardaigne, ajouta le théologien. Pour moi, je méprise les Sardes. Pour donner la chasse aux bandits, ils ont une milice à cheval ; cela fait la critique à la fois des bandits et du pays[1]. Fi de la Sardaigne ! C’est une chose qui m’étonne, monsieur della Rebbia, que vous, qui êtes un homme de goût et de savoir, vous n’ayez pas adopté notre vie du mâquis, en ayant goûté comme vous avez fait.

— Mais, dit Orso en souriant, lorsque j’avais l’avantage d’être votre commensal, je n’étais pas trop en état d’apprécier les charmes de votre position, et les côtes me font mal encore quand je me rappelle la course que je fis une belle nuit, mis en travers comme un paquet sur un cheval sans selle que conduisait mon ami Brandolaccio.

— Et le plaisir d’échapper à la poursuite, reprit Castriconi, le comptez-vous pour rien ? Comment pouvez-vous être insensible au charme d’une liberté absolue sous un beau climat comme le nôtre ? Avec ce porte-respect (il montrait son fusil), on est roi partout, aussi loin qu’il peut porter la balle. On commande, on redresse les torts… C’est un divertissement très-moral, monsieur, et très-agréable, que nous ne nous refusons point. Quelle plus belle vie que celle de chevalier errant, quand on est mieux armé et plus sensé que don Quichotte ? Tenez, l’autre jour, j’ai su que l’oncle de la petite Lilla Luigi, le vieux ladre qu’il est, ne voulait pas lui donner une dot ; je lui ai écrit, sans menaces, ce n’est pas ma manière ; eh bien ! voilà un homme à l’instant convaincu ; il l’a mariée. J’ai fait le bonheur de deux personnes. Croyez-moi, monsieur Orso, rien n’est comparable à la vie de bandit. Bah ! vous deviendriez peut-être des nôtres sans une certaine Anglaise que je n’ai fait qu’entrevoir, mais dont ils parlent tous, à Bastia, avec admiration.

  1. Je dois cette observation critique sur la Sardaigne à un ex-bandit de mes amis, et c’est à lui seul qu’en appartient la responsabilité.