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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/160

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l’archéologie, les laissèrent seuls et se promenèrent aux environs.

— Ma chère Colomba, dit le colonel, nous ne reviendrons jamais à Pise à temps pour notre luncheon. Est-ce que vous n’avez pas faim ? Voilà Orso et sa femme dans les antiquités ; quand ils se mettent à dessiner ensemble, ils n’en finissent pas.

— Oui, dit Colomba, et pourtant ils ne rapportent pas un bout de dessin.

— Mon avis serait, continua le colonel, que nous allassions à cette petite ferme là-bas. Nous y trouverons du pain, et peut-être de l’aleatico, qui sait ? même de la crème et des fraises, et nous attendrons patiemment nos dessinateurs.

— Vous avez raison, colonel. Vous et moi, qui sommes les gens raisonnables de la maison, nous aurions bien tort de nous faire les martyrs de ces amoureux, qui ne vivent que de poésie. Donnez-moi le bras. N’est-ce pas que je me forme ? Je prends le bras, je mets des chapeaux, des robes à la mode ; j’ai des bijoux ; j’apprends je ne sais combien de belles choses ; je ne suis plus du tout une sauvagesse. Voyez un peu la grâce que j’ai à porter ce châle… Ce blondin, cet officier de votre régiment, qui était au mariage… mon Dieu ! je ne puis pas retenir son nom ; un grand frisé, que je jetterais par terre d’un coup de poing…

— Chatworth ? dit le colonel.

— À la bonne heure ! mais je ne le prononcerai jamais. Eh bien ! il est amoureux fou de moi.

— Ah ! Colomba, vous devenez bien coquette… Nous aurons dans peu un autre mariage.

— Moi ! me marier ? Et qui donc élèverait mon neveu… quand Orso m’en aura donné un ? qui donc lui apprendrait à parler corse ?… Oui, il parlera corse, et je lui ferai un bonnet pointu pour vous faire enrager.