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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/197

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elle perdit connaissance, et probablement depuis quelques instants elle avait perdu la raison. Elle ne peut en aucune façon dire combien de temps elle demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit le fantôme, ou la statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du corps dans le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre ses bras son mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue sortit du lit, laissa tomber le cadavre et sortit. Madame Alphonse se pendit à la sonnette, et vous savez le reste. »

On amena l’Espagnol ; il était calme, et se défendit avec beaucoup de sang-froid et de présence d’esprit. Du reste, il ne nia pas le propos que j’avais entendu ; mais il l’expliquait, prétendant qu’il n’avait voulu dire autre chose, sinon que le lendemain, reposé qu’il serait, il aurait gagné une partie de paume à son vainqueur. Je me rappelle qu’il ajouta :

— Un Aragonais, lorsqu’il est outragé, n’attend pas au lendemain pour se venger. Si j’avais cru que M. Alphonse eût voulu m’insulter, je lui aurais sur-le-champ donné de mon couteau dans le ventre.

On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin ; ses souliers étaient beaucoup plus grands.

Enfin l’hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu’il avait passé toute la nuit à frotter et à médicamenter un de ses mulets qui était malade.

D’ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans le pays, où il venait tous les ans pour son commerce. On le relâcha donc en lui faisant des excuses.

J’oubliais la déposition d’un domestique qui le dernier avait vu M. Alphonse vivant. C’était au moment qu’il allait monter chez sa femme, et, appelant cet homme, il lui demanda d’un air d’inquiétude s’il savait où j’étais. Le domestique répondit qu’il ne m’avait point vu. Alors M. Alphonse fit un soupir et resta plus d’une minute sans