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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/202

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On conte de la même manière la vie de l’un et de l’autre : le dénouement seul les distingue. Il y en a pour tous les goûts, comme dans les pièces de Ducis, qui finissent bien ou mal, suivant la sensibilité des lecteurs.

Quant à la vérité de cette histoire ou de ces deux histoires, elle est incontestable, et on offenserait grandement le patriotisme provincial des Sévillans si l’on révoquait en doute l’existence de ces garnements qui ont rendu suspecte la généalogie de leurs plus nobles familles. On montre aux étrangers la maison de don Juan Tenorio, et tout homme, ami des arts, n’a pu passer à Séville sans visiter l’église de la Charité. Il y aura vu le tombeau du chevalier de Maraña avec cette inscription dictée par son humilité, ou si l’on veut par son orgueil : Aqui yace el peor hombre que fué en el mundo. Le moyen de douter après cela ? Il est vrai qu’après vous avoir conduit à ces deux monuments, votre cicerone vous racontera encore comment don Juan (on ne sait lequel) fit des propositions étranges à la Giralda, cette figure de bronze qui surmonte la tour moresque de la cathédrale, et comment la Giralda les accepta ; — comment don Juan, se promenant, chaud de vin, sur la rive gauche du Guadalquivir, demanda du feu à un homme qui passait sur la rive droite en fumant un cigare, et comment le bras du fumeur (qui n’était autre que le diable en personne) s’allongea tant et tant qu’il traversa le fleuve et vint présenter son cigare à don Juan, lequel alluma le sien sans sourciller et sans profiter de l’avertissement, tant il était endurci…

J’ai tâché de faire à chaque don Juan la part qui lui revient dans leur fond commun de méchancetés et de crimes. Faute de meilleure méthode, je me suis appliqué à ne conter de don Juan de Maraña, mon héros, que des aventures qui n’appartinssent pas par droit de prescription à don Juan Tenorio, si connu parmi nous par les chefs-d’œuvre de Molière et de Mozart.