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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/206

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jusqu’aux dents. Pour rappeler cette sainte vengeance, le roi m’a permis de porter un calice d’or dans mes armes. Je te dis cela, Juanito, pour que tu le racontes à tes enfants, et qu’ils sachent pourquoi tes armes ne sont pas exactement celles de ton grand-père, don Diego, que tu vois peintes au-dessous de son portrait.

Partagé entre la guerre et la dévotion, l’enfant passait ses journées à fabriquer de petites croix avec des lattes, ou bien, armé d’un sabre de bois, à s’escrimer dans le potager contre des citrouilles de Rota, dont la forme ressemblait beaucoup, suivant lui, à des têtes de Maures couvertes de leurs turbans.

À dix-huit ans, don Juan expliquait assez mal le latin, servait fort bien la messe, et maniait la rapière, ou l’épée à deux mains, mieux que ne faisait le Cid. Son père, jugeant qu’un gentilhomme de la maison de Maraña devait encore acquérir d’autres talents, résolut de l’envoyer à Salamanque. Les apprêts du voyage furent bientôt faits. Sa mère lui donna force chapelets, scapulaires et médailles bénites. Elle lui apprit aussi plusieurs oraisons d’un grand secours dans une foule de circonstances de la vie. Don Carlos lui donna une épée dont la poignée, damasquinée d’argent, était ornée des armes de sa famille ; il lui dit : — Jusqu’à présent tu n’as vécu qu’avec des enfants ; tu vas maintenant vivre avec des hommes. Souviens-toi que le bien le plus précieux d’un gentilhomme, c’est son honneur ; et ton honneur, c’est celui des Maraña. Périsse le dernier rejeton de notre maison plutôt qu’une tache soit faite à son honneur ! Prends cette épée, elle te défendra si l’on t’attaque. Ne sois jamais le premier à la tirer ; mais rappelle-toi que tes ancêtres n’ont jamais remis la leur dans le fourreau que lorsqu’ils étaient vainqueurs et vengés. Ainsi muni d’armes spirituelles et temporelles, le descendant des Maraña monta à cheval et quitta la demeure de ses pères.