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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/229

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pour la nuit. Une vieille parente venait d’arriver à Salamanque, et on lui donnait la chambre de Teresa, qui devait coucher dans celle de sa mère. Ce désappointement affecta très médiocrement don Juan, qui trouva le moyen d’employer sa soirée. Au moment qu’il sortait dans la rue, préoccupé de ses projets, une femme voilée lui remit un billet ; il était de doña Teresa. Elle avait trouvé moyen d’avoir une autre chambre, et avait tout arrangé avec sa sœur pour le rendez-vous. Don Juan montra la lettre à don Garcia. Ils hésitèrent quelque temps ; puis enfin, machinalement et comme par habitude, ils escaladèrent le balcon de leurs maîtresses.

Doña Teresa avait à la gorge un signe assez apparent. Ce fut une immense faveur que reçut don Juan la première fois qu’il eut la permission de le regarder. Pendant quelque temps il continua à le considérer comme la plus ravissante chose du monde. Tantôt il le comparait à une violette, tantôt à une anémone, tantôt à la fleur de l’alfalfa. Mais bientôt ce signe, qui était réellement fort joli, cessa par la satiété de lui paraître tel. — C’est une grande tache noire, voilà tout, se disait-il en soupirant. C’est dommage qu’elle se trouve là. Parbleu, c’est que cela ressemble à une couenne de lard. Le diable emporte le signe ! — Un jour même il demanda à Teresa si elle n’avait pas consulté un médecin sur les moyens de le faire disparaître. À quoi la pauvre fille répondit, en rougissant jusqu’au blanc des yeux, qu’il n’y avait pas un seul homme, excepté lui, qui eût vu cette tache ; qu’au surplus sa nourrice avait coutume de lui dire que de tels signes portaient bonheur.

Le soir que j’ai dit, don Juan, étant venu au rendez-vous d’assez mauvaise humeur, revit le signe en question, qui lui parut encore plus grand que les autres fois. — C’est, parbleu, la représentation d’un gros rat, se dit-il à lui-même en le considérant. En vérité, c’est une monstruo-