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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/23

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— Je ne connais de l’Italie, dit Orso, que Pise, où j’ai passé quelque temps au collège ; mais je ne puis penser sans admiration au Campo-Santo, au Dôme, à la Tour penchée… au Campo-Santo surtout. Vous vous rappelez la Mort d’Orcagna… Je crois que je pourrais la dessiner, tant elle est restée dans ma mémoire.

Miss Lydia craignit que monsieur le lieutenant ne s’engageât dans une tirade d’enthousiasme.

— C’est très joli, dit-elle en bâillant. Pardon, mon père, j’ai un peu mal à la tête, je vais descendre dans ma chambre.

Elle baisa son père sur le front, fit un signe de tête majestueux à Orso et disparut. Les deux hommes causèrent alors chasse et guerre.

Ils apprirent qu’à Waterloo, ils étaient en face l’un de l’autre, et qu’ils avaient dû échanger bien des balles. Leur bonne intelligence en redoubla. Tour à tour ils critiquèrent Napoléon, Wellington et Blücher, puis ils chassèrent ensemble le daim, le sanglier et le mouflon. Enfin, la nuit étant déjà très-avancée, et la dernière bouteille de bordeaux finie, le colonel serra de nouveau la main au lieutenant et lui souhaita le bonsoir, en exprimant l’espoir de cultiver une connaissance commencée d’une façon si ridicule. Ils se séparèrent et chacun fut se coucher.

III.

La nuit était belle, la lune se jouait sur les flots, le navire voguait doucement au gré d’une brise légère. Miss Lydia n’avait point envie de dormir, et ce n’était que la présence d’un profane qui l’avait empêchée de goûter ces émotions qu’en mer et par un clair de lune tout être humain éprouve quand il a deux grains de poésie dans le cœur. Lorsqu’elle jugea que le jeune lieutenant dormait