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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/231

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voulez-vous me céder votre Teresa ? je vous promets qu’au bout de quinze jours elle sera souple comme un gant. Je vous offre Fausta en échange. Vous faut-il du retour ?

— Le marché serait assez de mon goût, dit don Juan en souriant, si ces dames de leur côté y consentaient. Mais doña Fausta ne voudrait jamais vous céder. Elle perdrait trop au change.

— Vous êtes trop modeste. Mais rassurez-vous. Je l’ai tant fait enrager hier, que le premier venu lui semblerait auprès de moi comme un ange de lumière pour un damné. Savez-vous, don Juan, poursuivit don Garcia, que je parle très sérieusement ? — Et don Juan rit plus fort du sérieux avec lequel son ami débitait ces extravagances.

Cette édifiante conversation fut interrompue par l’arrivée de plusieurs étudiants qui donnèrent un autre cours à leurs idées. Mais, le soir venu, les deux amis étant assis devant une bouteille de vin de Montilla accompagnée d’une petite corbeille remplie de glands de Valence, don Garcia se remit à se plaindre de sa maîtresse. Il venait de recevoir une lettre de Fausta, pleine d’expressions tendres et de doux reproches, au milieu desquels on voyait percer son esprit enjoué et son habitude de saisir le côté de chaque chose.

— Tenez, dit don Garcia tendant la lettre à don Juan et bâillant outre mesure, lisez ce beau morceau. Encore un rendez-vous pour ce soir ! mais le diable m’emporte si j’y vais.

Don Juan lut la lettre, qui lui parut charmante.

— En vérité, dit-il, si j’avais une maîtresse comme la vôtre, toute mon étude serait de la rendre heureuse.

— Prenez-la donc, mon cher, s’écria don Garcia, prenez-la, passez-vous-en la fantaisie ; je vous abandonne mes droits. Faisons mieux, ajouta-t-il en se levant, comme éclairé par une inspiration soudaine, jouons nos maîtresses. Voici des cartes. Faisons une partie d’hombre.