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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/242

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bourse qu’il vous a laissée ? Don Juan l’ouvrit alors pour la première fois, et vit qu’elle contenait environ soixante pièces d’or.

— Puisque nous sommes en fonds, dit don Garcia, habitué à regarder la bourse de son ami comme la sienne, pourquoi ne ferions-nous pas une partie de pharaon, au lieu de pleurnicher ainsi en pensant à nos amis morts ?

La proposition fut goûtée de tous. On apporta quelques tambours que l’on couvrit d’un manteau ; ils servirent de table de jeu. Don Juan joua le premier, conseillé par don Garcia ; mais avant de ponter il tira de sa bourse dix pièces d’or qu’il enveloppa dans son mouchoir et qu’il mit dans sa poche.

— Que diable voulez-vous en faire ? s’écria don Garcia. Un soldat thésauriser ! et la veille d’une affaire !

— Vous savez, don Garcia, que tout cet argent n’est pas à moi. Don Manuel m’a fait un legs sub pœna nomine, comme nous disions à Salamanque.

— La peste soit du fat ! s’écria don Garcia. Je crois, le diable m’emporte, qu’il a l’intention de donner ces dix écus au premier curé que nous rencontrerons.

— Pourquoi pas ? Je l’ai promis.

— Taisez-vous ; par la barbe de Mahomet ! vous me faites honte, et je ne vous reconnais pas.

Le jeu commença ; les chances furent d’abord variées ; bientôt elles tournèrent décidément contre don Juan. En vain, pour rompre la veine, don Garcia prit les cartes ; au bout d’une heure, tout l’argent qu’ils possédaient, et de plus les cinquante écus du capitaine Gomare, étaient passés dans les mains du banquier. Don Juan voulait aller dormir ; mais don Garcia était échauffé, il prétendit avoir sa revanche et regagner ce qu’il avait perdu.

— Allons, monsieur Prudent, dit-il, voyons ces der-