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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/244

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qui choquaient à la fois la vue et l’odorat, lorsqu’un soldat qui les précédait fit un grand cri à la vue d’un corps gisant dans un fossé. Ils s’approchèrent et reconnurent le capitaine Gomare. Il était pourtant presque défiguré. Ses traits déformés et roidis dans d’horribles convulsions prouvaient que ses derniers moments avaient été accompagnés de douleurs atroces. Bien que déjà familiarisé avec de tels spectacles, don Juan ne put s’empêcher de frémir en voyant ce cadavre, dont les yeux ternes et remplis de sang caillé semblaient dirigés vers lui d’un air de menace. Il se rappela les dernières recommandations du pauvre capitaine, et comment il avait négligé de les exécuter. Pourtant, la dureté factice dont il était parvenu à remplir son cœur le délivra bientôt de ces remords ; il fit promptement creuser une fosse pour ensevelir le capitaine. Par hasard, un capucin se trouvait là, qui récita quelques prières à la hâte. Le cadavre, aspergé d’eau bénite, fut recouvert de pierres et de terre, et les soldats poursuivirent leur route plus silencieux que de coutume : mais don Juan remarqua un vieil arquebusier qui, après avoir longtemps fouillé dans ses poches, y trouva enfin un écu, qu’il donna au capucin en lui disant : Voilà pour dire des messes au capitaine Gomare. Ce jour-là, don Juan donna des preuves d’une bravoure extraordinaire, et s’exposa au feu de l’ennemi avec si peu de ménagement qu’on eût dit qu’il voulait se faire tuer. — On est brave quand on n’a plus le sou, disaient ses camarades.

Peu de temps après la mort du capitaine Gomare, un jeune soldat fut admis comme recrue dans la compagnie où servaient don Juan et don Garcia ; il paraissait décidé et intrépide, mais d’un caractère sournois et mystérieux. Jamais on ne le voyait boire ni jouer avec ses camarades ; il passait des heures entières assis sur un banc dans le corps-de-garde, occupé à regarder voler les mouches, ou bien à faire jouer la détente de son arquebuse. Les sol-