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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/288

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Il venait de perdre sa femme Ulrique Éléonore. Quoique sa dureté pour cette princesse eût, dit-on, hâté sa fin, il l’estimait, et parut plus touché de sa mort qu’on ne l’aurait attendu d’un cœur aussi sec que le sien. Depuis cet évènement il devint encore plus sombre et taciturne qu’auparavant, et se livra au travail avec une application qui prouvait un besoin impérieux d’écarter des idées pénibles.

À la fin d’une soirée d’automne, il était assis en robe de chambre et en pantoufles devant un grand feu allumé dans son cabinet au palais de Stockholm. Il avait auprès de lui son chambellan, le comte Brahé, qu’il honorait de ses bonnes grâces, et le médecin Baumgarten, qui, soit dit en passant, tranchait de l’esprit fort, et voulait que l’on doutât de tout, excepté de la médecine. Ce soir-là, il l’avait fait venir pour le consulter sur je ne sais quelle indisposition.

La soirée se prolongeait, et le roi, contre sa coutume, ne leur faisait pas sentir, en leur donnant le bonsoir, qu’il était temps de se retirer. La tête baissée et les yeux fixés sur les tisons, il gardait un profond silence, ennuyé de sa compagnie, mais craignant, sans savoir pourquoi, de rester seul. Le comte Brahé s’apercevait bien que sa présence n’était pas fort agréable, et déjà plusieurs fois il avait exprimé la crainte que Sa Majesté n’eût besoin de repos : un geste du roi l’avait retenu à sa place. À son tour, le médecin parla du tort que les veilles font à la santé ; mais Charles lui répondit entre ses dents : « Restez, je n’ai pas encore envie de dormir. »

Alors on essaya différents sujets de conversation qui s’épuisaient tous à la seconde ou troisième phrase. Il paraissait évident que Sa Majesté était dans une de ses humeurs noires, et, en pareille circonstance, la position d’un courtisan est bien délicate. Le comte Brahé, soupçonnant que la tristesse du roi provenait de ses regrets