Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le roi l’arrêta. — « Je veux aller moi-même dans cette salle, » dit-il. En achevant ces mots, on le vit pâlir, et sa physionomie exprimait une espèce de terreur religieuse. Pourtant, il sortit d’un pas ferme ; le chambellan et le médecin le suivirent, tenant chacun une bougie allumée.

Le concierge, qui avait la charge des clefs, était déjà couché. Baumgarten alla le réveiller, et lui ordonna, de la part du roi, d’ouvrir sur-le-champ les portes de la salle des États. La surprise de cet homme fut grande à cet ordre inattendu ; il s’habilla à la hâte et joignit le roi avec son trousseau de clefs. D’abord, il ouvrit la porte d’une galerie qui servait d’antichambre ou de dégagement à la salle des États. Le roi entra ; mais quel fut son étonnement en voyant les murs entièrement tendus de noir !

— « Qui a donné l’ordre de faire tendre ainsi cette salle ? » demanda-t-il d’un ton de colère. – « Sire, personne que je sache, » répondit le concierge tout troublé. « Et, la dernière fois que j’ai fait balayer la galerie, elle était lambrissée de chêne comme elle l’a toujours été… Certainement ces tentures-là ne viennent pas du garde-meuble de Votre Majesté. » Et le roi, marchant d’un pas rapide, était déjà parvenu à plus des deux tiers de la galerie. Le comte et le concierge le suivaient de près ; le médecin Baumgarten était un peu en arrière, partagé entre la crainte de rester seul et celle de s’exposer aux suites d’une aventure qui s’annonçait d’une façon assez étrange.

— « N’allez pas plus loin, Sire, » s’écria le concierge. « Sur mon âme, il y a de la sorcellerie là-dedans. À cette heure… et depuis la mort de la reine, votre gracieuse épouse… on dit qu’elle se promène dans cette galerie… Que dieu nous protège ! »

— « Arrêtez, sire, » s’écriait le comte de son côté. « N’entendez-vous pas ce bruit qui part de la salle des États ? Qui sait à quels dangers Votre Majesté s’expose ? »