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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/33

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tion. De son côté, le préfet ne la laissait pas languir, et il était évident qu’il avait un vif plaisir à parler de Paris et du monde à une femme qui connaissait toutes les notabilités de la société européenne, De temps en temps, et tout en parlant, il observait Orso avec une curiosité singulière.

— C’est sur le continent que vous avez connu monsieur della Rebbia ? demanda-t-il à miss Lydia.

Miss Lydia répondit avec quelque embarras qu’elle avait fait sa connaissance sur le navire qui les avait amenés en Corse.

— C’est un jeune homme très comme il faut, dit le préfet à demi-voix. Et vous a-t-il dit, continua-t-il encore plus bas, dans quelle intention il revient en Corse ?

Miss Lydia prit son air majestueux : — Je ne le lui ai point demandé, dit-elle ; vous pouvez l’interroger.

Le préfet garda le silence ; mais, un moment après, entendant Orso adresser au colonel quelques mots en anglais : — Vous avez beaucoup voyagé, monsieur, dit-il, à ce qu’il parait. Vous devez avoir oublié la Corse… et ses coutumes.

— Il est vrai, j’étais bien jeune quand je l’ai quittée.

— Vous appartenez toujours à l’armée ?

— Je suis en demi-solde, monsieur.

— Vous avez été trop longtemps dans l’armée française, pour ne pas devenir tout à fait Français, je n’en doute pas, monsieur.

Il prononça ces derniers mots avec une emphase marquée.

Ce n’est pas flatter prodigieusement les Corses, que leur rappeler qu’ils appartiennent à la grande nation. Ils veulent être un peuple à part, et cette prétention, ils la justifient assez bien pour qu’on la leur accorde. Orso, un peu piqué, répliqua : — Pensez-vous, monsieur le préfet, qu’un Corse, pour être homme d’honneur, ait besoin de servir dans l’armée française ?