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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/334

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sur tes poches ; allons, voici ma bourse, prends ce qu’il te faut, et viens-t’en dîner avec moi. »

» Il vint à Brest une jeune actrice fort jolie, nommée Gabrielle, qui ne tarda pas à faire des conquêtes parmi les marins et les officiers de la garnison. Ce n’était pas une beauté régulière, mais elle avait de la taille, de beaux yeux, le pied petit, l’air passablement effronté ; tout cela plaît fort quand on est dans les parages de vingt à vingt-cinq ans. On la disait par-dessus le marché la plus capricieuse créature de son sexe, et sa manière de jouer ne démentait pas cette réputation. Tantôt elle jouait à ravir, on eût dit une comédienne du premier ordre ; le lendemain, dans la même pièce elle était froide, insensible ; elle débitait son rôle comme un enfant récite son catéchisme. Ce qui intéressa surtout nos jeunes gens, ce fut l’histoire suivante que l’on racontait d’elle. Il paraît qu’elle avait été entretenue très-richement à Paris par un sénateur qui faisait, comme l’on dit, des folies pour elle. Un jour, cet homme, se trouvant chez elle, mit son chapeau sur sa tête ; elle le pria de l’ôter, et se plaignit même qu’il lui manquât de respect. Le sénateur se mit à rire, leva les épaules, et dit en se carrant dans un fauteuil : « C’est bien le moins que je me mette à mon aise chez une fille que je paie. » Un bon soufflet de crocheteur, détaché par la blanche main de la Gabrielle, le paya aussitôt de sa réponse, et jeta son chapeau à l’autre bout de la chambre. De là, rupture complète. Des banquiers, des généraux avaient fait des offres considérables à la dame ; mais elle les avait toutes refusées, et s’était faite actrice, afin, disait-elle, de vivre indépendante.

» Lorsque Roger la vit et qu’il apprit cette histoire, il jugea que cette personne était son fait, et, avec la franchise un peu brutale qu’on nous reproche à nous autres marins, voici comment il s’y prit pour lui montrer combien il était touché de ses charmes. Il acheta les plus