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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/340

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des diamants, des cachemires. Demande un congé et allons à Paris ; ici, nous ne viendrons jamais à bout de tant d’argent ! » Elle s’arrêta pour observer Roger, qui les yeux fixés sur le plancher, la tête appuyée sur sa main, ne l’avait pas entendue, et semblait rouler dans sa tête les plus sinistres pensées.

— « Que diable as-tu, Roger ? » s’écria-t-elle en appuyant une main sur son épaule. « Tu me fais la moue, je crois ; je ne puis t’arracher une parole. »

— « Je suis bien malheureux, » dit-il enfin avec un soupir étouffé.

— « Malheureux ! Dieu me pardonne, n’aurais-tu pas des remords pour avoir plumé ce gros mynheer ? »

» Il releva la tête et la regarda d’un œil hagard.

— « Qu’importe, » poursuivit-elle, « qu’importe qu’il ait pris la chose au tragique et qu’il se soit brûlé ce qu’il avait de cervelle ! Je ne plains pas les joueurs qui perdent ; et certes son argent est mieux entre nos mains que dans les siennes : il l’aurait dépensé à boire et à fumer au lieu que, nous, nous allons faire mille extravagances toutes plus élégantes les unes que les autres. »

» Roger se promenait par la chambre, la tête penchée sur sa poitrine, les yeux à demi fermés et remplis de larmes. Il vous aurait fait pitié si vous l’aviez vu.

— « Sais-tu, » lui dit Gabrielle, « que des gens qui ne connaîtraient pas ta sensibilité romanesque pourraient bien croire que tu as triché ? »

— « Et si cela était vrai ? » s’écria-t-il d’une voix sourde en s’arrêtant devant elle.

— « Bah ! » répondit-elle en souriant, « tu n’as pas assez d’esprit pour tricher au jeu. »

— « Oui, j’ai triché, Gabrielle ; j’ai triché comme un misérable que je suis. »

» Elle comprit à son émotion qu’il ne disait que trop