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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/343

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suis si méprisable, qu’une fille de joie m’insulte, et je sens si bien ma bassesse, que je n’ai pas la force de la battre. » Alors il me raconta l’histoire de la partie de trictrac, et tout ce que vous savez déjà. En l’écoutant, j’étais pour le moins aussi ému que lui ; je ne savais que lui dire ; je lui serrais les mains, j’avais les larmes aux yeux, mais je ne pouvais parler. Enfin l’idée me vint de lui représenter qu’il n’avait pas à se reprocher d’avoir causé volontairement la ruine du Hollandais, et qu’après tout, il ne lui avait fait perdre par sa… tricherie… que vingt-cinq napoléons.

— « Donc ! » s’écria-t-il avec une ironie amère, « je suis un petit voleur et non un grand. Moi qui avais tant d’ambition ! N’être qu’un friponneau ! » Et il éclata de rire. Je fondis en larmes.

» Tout à coup la porte s’ouvrit ; une femme entra et se précipita dans ses bras : c’était Gabrielle. « Pardonne-moi, » s’écria-t-elle en l’étreignant avec force, « pardonne-moi. Je le sens bien, je n’aime que toi. Je t’aime mieux maintenant que si tu n’avais pas fait ce que tu te reproches. Si tu veux, je volerai… j’ai déjà volé… Oui, j’ai volé… j’ai volé une montre d’or… Que peut-on faire de pis ? »

» Roger secoua la tête d’un air d’incrédulité ; mais son front parut s’éclaircir. « Non, ma pauvre enfant, » dit-il en la repoussant avec douceur, « il faut absolument que je me tue. Je souffre trop, je ne puis résister à la douleur que je sens là. »

— « Eh bien, si tu veux mourir Roger je mourrai avec toi ! Sans toi, que m’importe la vie ! J’ai du courage, j’ai tiré des fusils ; je me tuerai tout comme un autre. D’abord, moi qui ai joué la tragédie, j’en ai l’habitude. » Elle avait les larmes aux yeux en commençant ; cette dernière idée la fit rire, et Roger lui-même laissa échapper un sourire. « Tu ris, mon officier, »