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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/353

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— « Je le crois un peu jésuite, » reprit Jules Lambert ; « quelqu’un m’a juré sa parole qu’il l’avait rencontré deux fois sortant de Saint-Sulpice. Personne ne sait ce qu’il pense. Pour moi, je ne pourrai jamais être à mon aise avec lui. »

Ils se séparèrent. Alphonse rencontra Saint-Clair sur le boulevard Italien, marchant la tête baissée et sans voir personne. Alphonse l’arrêta, lui prit le bras, et, avant qu’ils fussent arrivés à la rue de la Paix, il lui avait raconté toute l’histoire de ses amours avec madame ***, dont le mari est si jaloux et si brutal.

Le soir, Jules Lambert perdit son argent à l’écarté. Il se mit à danser. En dansant il coudoya un homme qui, ayant aussi perdu tout son argent, était de fort mauvaise humeur. De là quelques mots piquants : rendez-vous pris. Jules pria Saint-Clair de lui servir de second, et, par la même occasion, lui emprunta de l’argent, qu’il a toujours oublié de lui rendre.

Après tout, Saint-Clair était un homme assez facile à vivre. Ses défauts ne nuisaient qu’à lui seul. Il était obligeant, souvent aimable, rarement ennuyeux. Il avait beaucoup voyagé, beaucoup lu, et ne parlait de ses voyages et de ses lectures que lorsqu’on l’exigeait. D’ailleurs il était grand, bien fait ; sa physionomie était noble et spirituelle, presque toujours trop grave ; mais son sourire était plein de grâce.

J’oubliais un point important. Saint-Clair était attentif auprès de toutes les femmes, et recherchait leur conversation plus que celle des hommes. Aimait-il ? C’est ce qu’il était difficile de décider. Seulement, si cet être si froid ressentait de l’amour, on savait que la jolie comtesse Mathilde de Coursy devait être l’objet de sa préférence. C’était une jeune veuve chez laquelle on le voyait assidu. Pour conclure leur intimité, on avait les présomptions suivantes : d’abord la politesse presque cérémonieuse de