Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/383

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comme le nôtre, et sous une police aussi soupçonneuse que celle de l’empereur. Savez-vous qu’elle est brutale au dernier point ? et si nous étions découverts, nous serions heureux d’en être quittes pour passer toute notre vie dans le château de Ham ou à Vincennes.

La comtesse. Et la gloire, si nous réussissons !

Le comte. C’est un grand mot, voilà tout. Au reste, puisque nous nous sommes engagés… un peu légèrement dans cette affaire, tâchons de la conduire avec prudence. Conspirons, à la bonne heure, puisque vous le voulez, mais ne nous compromettons pas. Et, tenez, voulez-vous connaître toute ma façon de penser ? je crains que vous ne fassiez du tort à notre cause par votre zèle même, qui va souvent jusqu’à la témérité. Par exemple, l’autre jour, chez M. le préfet, pourquoi dire devant vingt personnes au moins que vous n’aimiez pas la guerre d’Espagne, et que vous seriez très-fâchée que votre cousin fût envoyé là ?

La comtesse. N’est-ce pas une guerre abominable… commencée par une trahison odieuse ? Et qui sont les victimes de cette noire perfidie ? Des princes que nous devons chérir, puisqu’ils appartiennent à l’auguste famille qui nous gouvernait autrefois… et que, Dieu aidant, nous reverrons un jour sur le trône.

Le comte. Ne parlez pas si haut. François pourrait nous entendre de l’antichambre. — Oui je conviens avec vous que cette guerre est abominable ; mais chez le préfet !… Il l’a bien remarqué ; car, après dîner, sa femme a offert du café à tout le monde, excepté à moi.

La comtesse. Belle vengeance et bien digne de cette créature, qui fait la fière dans sa calèche, comme si l’on ne savait pas qu’elle est la fille d’un passementier. Patience ! dans quelque temps nous ferons rentrer dans la poussière tous ces champignons que la révolution a fait pousser sur les ruines du trône.

Le comte. Et nous rétablirons l’ordre légal. J’ai hâte