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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/414

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Édouard. Ma foi, vive ma cousine pour les conspirations ! Elle y est divine. Ne vous inquiétez pas de vos poignards, mes chers collègues ; je vais en Espagne, c’est le pays où se fabrique tout ce qu’il y a de plus soigné dans ce genre-là. Même les femmes en ont dans leurs corsets et dans leurs jarretières. Un officier de dragons qui en revient me l’a dit. Vrai, sans farce, il faut y prendre garde, elles sont traîtresses en diable.

Le chevalier de Thimbray. Votre ami, monsieur, a donc visité ces parages-là, puisqu’il y faisait de si belles découvertes ?

Bertrand. Bah ! tenez, vos poignards en nacre ou en ivoire, c’est bon pour la montre ; mais parlez-moi, pour saigner un Bleu, d’un bon gros outil comme celui-ci. (Il tire un grand couteau.) C’est grossier, mais cela ne coûte pas cher. Un jour, je me heurte contre un caillou, me voilà à bas. Un officier des Bleus me met le genou sur l’estomac, et, sabre levé, il me disait de me rendre. Moi je lui dis, comme disait Jean Chouan : « Il n’y a pas de danger ! » et je lui plante mon couteau dans la bouche. Vrai Dieu ! il l’a avalé comme il aurait fait une cuillerée de soupe. Tenez, on voit encore la marque de ses dents sur la lame.

La comtesse. Oh ! retirez cet affreux poignard ! il me semble le voir tout couvert de sang.

Le comte. Laissons cela, mon ami. Il ne s’agit pas de cela. Occupons-nous de nos affaires.

Bertrand. Eh bien, donc ! quand faudra-t-il sonner le tocsin ?

Le baron de Machicoulis. Le tocsin ! y pensez-vous ? et la gendarmerie, et la garnison de *** ?

Le marquis de Malespine. Et le préfet qui nous enverrait tous en prison ?

Le chevalier de Thimbray. Il a le diable au corps.