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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/42

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en travaillant — un chant de tristesse ; — mais nul autre chant ne répond au sien. — Un jour, un jour de printemps, — une palombe se posa sur un arbre voisin, — et entendit le chant de la jeune fille. — Jeune fille, dit-elle, tu ne pleures pas seule : — un cruel épervier m’a ravi ma compagne. — Palombe, montre-moi l’épervier ravisseur ; — fût-il aussi haut que les nuages, — je l’aurai bientôt abattu en terre. — Mais moi, pauvre fille, qui me rendra mon frère, — mon frère maintenant en lointain pays ? — Jeune fille, dis-moi où est ton frère, — et mes ailes me porteront près de lui. »

— Voilà une palombe bien élevée ! s’écria Orso en embrassant sa sœur avec une émotion qui contrastait avec le ton de plaisanterie qu’il affectait.

— Votre chanson est charmante, dit miss Lydia. Je veux que vous me l’écriviez dans mon album. Je la traduirai en anglais et je la ferai mettre en musique.

Le brave colonel, qui n’avait pas compris un mot, joignit ses compliments à ceux de sa fille. Puis il ajouta : — Cette palombe dont vous parlez, mademoiselle, c’est cet oiseau que nous ayons mangé aujourd’hui à la crapaudine ?

Miss Nevil apporta son album et ne fut pas peu surprise de voir l’improvisatrice écrire sa chanson en ménageant le papier d’une façon singulière. Au lieu d’être en vedette, les vers se suivaient sur la même ligne, tant que la largeur de la feuille le permettait, en sorte qu’ils ne convenaient plus à la définition connue des compositions poétiques : « De petites lignes, d’inégale longueur, avec une marge de chaque côté. » Il y avait bien encore quelques observations à faire sur l’orthographe un peu capricieuse de mademoiselle Colomba, qui plus d’une fois, fit sourire miss Nevil, tandis que la vanité fraternelle d’Orso était au supplice.

L’heure de dormir étant arrivée, les deux jeunes filles se retirèrent dans leur chambre. Là, tandis que miss Lydia détachait collier, boucles, bracelets, elle observa sa compagne qui retirait de sa robe quelque chose de long comme un busc, mais de forme bien différente