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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/431

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J’ai dit que les coups de lance ne peuvent faire qu’une légère blessure au taureau, et ils n’ont d’autre effet que de l’irriter. Pourtant les chocs du cheval et du cavalier, le mouvement qu’il se donne, surtout les réactions qu’il reçoit en s’arrêtant brusquement sur ses jarrets, le fatiguent assez promptement. Souvent aussi la douleur des coups de lance le décourage, et alors il n’ose plus attaquer les chevaux, ou, pour parler le jargon tauromachique, il refuse d’entrer. Cependant, s’il est vigoureux, il a déjà tué quatre ou cinq chevaux. Les picadors se reposent alors, et l’on donne le signal de planter les banderillas.

Ce sont des bâtons d’environ deux pieds et demi, enveloppés de papier découpé, et terminés par une pointe aiguë barbelée pour qu’elle reste dans la plaie. Les chulos tiennent un de ces dards de chaque main. La manière la plus sûre de s’en servir, c’est de s’avancer doucement derrière le taureau, puis de l’exciter tout à coup en frappant avec bruit les banderilles l’une contre l’autre. Le taureau étonné se retourne, et charge son ennemi sans hésiter. Au moment où il le touche presque, lorsqu’il baisse la tête pour frapper, le chulo lui enfonce à la fois les deux banderilles de chaque côté du cou, ce qu’il ne peut faire qu’en se tenant pour un instant tout près et vis-à-vis du taureau et presque entre ses cornes ; puis il s’efface, le laisse passer, et gagne la barrière pour se mettre en sûreté. Une distraction, un mouvement d’hésitation ou de frayeur suffiraient pour le perdre. Les connaisseurs regardent pourtant les fonctions de banderillero comme les moins dangereuses de toutes. Si par malheur il tombe en plantant les banderilles, il ne faut pas qu’il essaye de se relever ; il se tient immobile à la place où il est tombé. Le taureau ne frappe à terre que rarement, non point par générosité, mais parce qu’en chargeant il ferme les yeux et passe sur l’homme sans l’apercevoir.