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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/446

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los Serranos, avec un de mes amis espagnols qui avait la bonté de m’accompagner. Je m’attendais à trouver une foule considérable rassemblée dès le matin ; mais je m’étais trompé. Les artisans travaillaient tranquillement dans leurs boutiques, les paysans sortaient de la ville après avoir vendu leurs légumes. Rien n’annonçait que quelque chose d’extraordinaire allait se passer, si ce n’est une douzaine de dragons rangés auprès de la porte de la prison. Le peu d’empressement des Valenciens à voir des exécutions ne doit pas être attribué, je crois, à un excès de sensibilité. Je ne sais pas non plus si je dois penser, comme mon guide, qu’ils sont tellement blasés sur ce spectacle, qu’il n’a plus d’attrait pour eux. Peut-être cette indifférence vient-elle des habitudes laborieuses du peuple de Valence. L’amour du travail et du gain le distingue non-seulement parmi toutes les populations de l’Espagne, mais encore parmi celles de l’Europe.

À onze heures la porte de la prison s’est ouverte. Aussitôt s’est présentée une assez nombreuse procession de franciscains. Elle était précédée d’un grand crucifix porté par un pénitent escorté de deux acolytes, chacun avec une lanterne emmanchée au bout d’un grand bâton. Le crucifix, de grandeur naturelle, était de carton peint avec un talent d’imitation extraordinaire. Les Espagnols, qui cherchent à faire la religion terrible, excellent à rendre les blessures, les contusions, les traces des tortures endurées par leurs martyrs. Sur ce crucifix, qui devait figurer à un supplice, on n’avait pas épargné le sang, la sanie, les tumeurs livides. C’était la plus hideuse pièce d’anatomie qu’on pût voir. Le porteur de cette horrible figure s’est arrêté devant la porte. Les soldats s’étaient un peu rapprochés. Une centaine de curieux à peu près étaient groupés derrière, assez près pour ne rien perdre de ce qui allait se faire et se dire, lorsque le condamné a paru accompagné de son confesseur.