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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/451

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afin de passer par les rues les plus larges. Je pris avec mon guide un chemin plus direct, afin de me trouver encore une fois sur le passage du condamné. Je remarquai que dans l’intervalle de temps qui s’était écoulé entre sa sortie de la prison et son arrivée dans la rue où je le revoyais, sa taille s’était courbée considérablement. Il s’affaissait peu à peu ; sa tête tombait sur sa poitrine, comme si elle n’eût été soutenue que par la peau du cou. Pourtant je n’observais pas sur ses traits l’expression de la peur. Il regardait fixement l’image qu’il avait entre les mains ; et, s’il détournait les yeux, c’était pour les reporter sur les deux franciscains, qu’il paraissait écouter avec intérêt.

J’aurais dû me retirer alors ; mais on me pressa d’aller sur la grande place, de monter chez un marchand, où j’aurais toute liberté de regarder le supplice du haut d’un balcon, ou bien de me soustraire à ce spectacle en rentrant dans l’intérieur de l’appartement. J’allai donc.

La place était loin d’être remplie. Les marchandes de fruits et d’herbes ne s’étaient pas dérangées. On circulait partout facilement. La potence, surmontée des armes d’Aragon, était placée en face d’un élégant bâtiment moresque, la Bourse de la Soie (la Lonja de Seda). La place du Marché est longue. Les maisons qui la bordent sont petites quoique surchargées d’étages, et chaque rang de fenêtres a son balcon en fer. De loin on dirait de grandes cages. Un assez bon nombre de ces balcons n’étaient point garnis de spectateurs.

Sur celui où je devais prendre place je trouvai deux jeunes demoiselles de seize à dix-huit ans, commodément établies sur des chaises, et s’éventant de l’air du monde le plus dégagé. Toutes les deux étaient fort jolies, et à leurs robes de soie noire fort propres, à leurs souliers de satin et à leurs mantilles garnies de dentelles, je jugeai qu’elles devaient être les filles de quelque bourgeois aisé. Je fus