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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/465

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n’ai jamais pu tirer cette histoire au clair. Le père fit grand bruit, et un procès criminel fut commencé. Jose Maria fut obligé de prendre la fuite et de s’exiler à Gibraltar. Là, comme l’argent lui manquait, il fit marché avec un négociant anglais pour introduire en contrebande une forte partie de marchandises prohibées. Il fut trahi par un homme à qui il avait fait confidence de son projet. Les douaniers surent la route qu’il devait tenir et s’embusquèrent sur son passage. Tous les mulets qu’il conduisait furent pris, mais il ne les abandonna qu’après un combat acharné dans lequel il tua ou blessa plusieurs douaniers. Dès ce moment, il n’eut plus d’autre ressource que de rançonner les voyageurs.

Un bonheur extraordinaire l’a constamment accompagné jusqu’à ce jour. Sa tête est mise à prix, son signalement est affiché à la porte de toutes les villes, avec promesse de huit mille réaux à celui qui le livrera mort ou vif[1], fût-il un de ses complices. Pourtant Jose Maria continue impunément son dangereux métier, et ses courses s’étendent depuis les frontières du Portugal jusqu’au royaume de Murcie. Sa bande n’est pas nombreuse, mais elle est composée d’hommes dont la fidélité et la résolution sont depuis longtemps éprouvées. Un jour, à la tête d’une douzaine d’hommes de son choix, il surprit à la venta de Gazin soixante-dix volontaires royalistes envoyés à sa poursuite, et les désarma tous. On le vit ensuite regagner les montagnes à pas lents, chassant devant lui deux mulets chargés des soixante-dix escopettes qu’il emportait comme pour en faire un trophée.

On conte des merveilles de son adresse à tirer à balle. Sur un cheval lancé au galop, il touche un tronc d’olivier à

  1. Lorsque j’étais à Séville, on trouva, un matin, sur la porte de Triana, au bas du signalement de Jose Maria, ces mots écrits au crayon : « Signature du susdit : Jose Maria. »