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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/467

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et des orangers en fleur se mêlaient agréablement aux parfums plus substantiels s’exhalant de plusieurs plats qui faisaient plier la table sous leur poids. Tout d’un coup parut un homme à cheval, sortant d’un bouquet de bois à portée de pistolet de la maison. L’inconnu sauta lestement à terre, salua les convives de la main, et conduisit son cheval à l’écurie. On n’attendait personne, mais en Espagne tout passant est bien venu à partager un repas de fête. D’ailleurs l’étranger, par ses habillements, paraissait être un homme d’importance. Le marié se détacha aussitôt pour l’inviter à dîner.

Pendant qu’on se demandait tout bas quel était cet étranger, le notaire d’Andujar, qui assistait à la noce, était devenu pâle comme la mort. Il essayait de se lever de la chaise qu’il occupait auprès de la mariée ; mais ses genoux pliaient sous lui, et ses jambes ne pouvaient plus le supporter. Un des convives, soupçonné depuis longtemps de s’occuper de contrebande, s’approcha de la mariée : « C’est Jose Maria, » dit-il ; « je me trompe fort, ou il vient ici pour faire quelque malheur (para hacer una muerte). C’est au notaire qu’il en veut. — Mais que faire ? Le faire échapper ? — Impossible, Jose Maria l’aurait bientôt rejoint. — Arrêter le brigand ? — Mais sa bande est sans doute aux environs ; d’ailleurs il porte des pistolets à sa ceinture et son poignard ne le quitte jamais. — Mais, monsieur le notaire, que lui avez-vous donc fait ? — « Hélas ! rien, absolument rien ! » — Quelqu’un murmura tout bas que le notaire avait dit à son fermier, deux mois auparavant, que si Jose Maria venait jamais lui demander à boire, il devrait mettre un gros d’arsenic dans son vin.

On délibérait encore sans entamer la olla, quand l’inconnu reparut suivi du marié. Plus de doute, c’était Jose Maria. Il jeta en passant un coup d’œil de tigre au notaire, qui se mit à trembler comme s’il avait eu le frisson de la fièvre ; puis il salua la mariée avec grâce, et lui demanda