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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/61

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Elle se jeta sur son lit et voulut dormir, mais cela lui fut impossible ; et je n’entreprendrai pas de continuer son monologue, dans lequel elle se dit plus de cent fois que M. della Rebbia n’avait été, n’était et ne serait jamais rien pour elle.

IX.

Cependant Orso cheminait avec sa sœur. Le mouvement rapide de leurs chevaux les empêcha d’abord de se parler ; mais, lorsque les montées trop rudes les obligeaient d’aller au pas, ils échangeaient quelques mots sur les amis qu’ils venaient de quitter. Colomba parlait avec enthousiasme de la beauté de miss Nevil, de ses blonds cheveux, de ses gracieuses manières. Puis elle demandait si le colonel était aussi riche qu’il le paraissait, si mademoiselle Lydia était fille unique. Ce doit être un bon parti, disait-elle. Son père a, comme il semble, beaucoup d’amitié pour vous… Et, comme Orso ne répondait rien, elle continuait : Notre famille a été riche autrefois, elle est encore des plus considérées de l’île. Tous ces signori[1] sont des bâtards. Il n’y a plus de noblesse que dans les familles caporales, et vous savez, Orso, que vous descendez des premiers caporaux de l’île. Vous savez que notre famille est originaire d’au delà des monts[2], et ce sont les guerres civiles qui nous ont obligés à passer de ce côté-ci. Si j’étais à votre place, Orso, je n’hésiterais pas, je demanderais miss Nevil à son père… (Orso levait les épaules.) De sa

  1. On appelle signori les descendants des seigneurs féodaux de la Corse. Entre les familles des signori et celles des caporali il y a rivalité pour la noblesse.
  2. C’est-à-dire de la côte orientale. Cette expression très usitée, di là dei monti, change de sens suivant la position de celui qui l’emploie. — La Corse est divisée du nord au sud par une chaîne de montagnes.