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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/63

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Déjà nos voyageurs n’étaient plus qu’à une petite distance de Pietranera, lorsque, à l’entrée d’une gorge qu’il fallait traverser, ils découvrirent sept ou huit hommes armés de fusils, les uns assis sur des pierres, les autres couchés sur l’herbe, quelques-uns debout et semblant faire le guet. Leurs chevaux paissaient à peu de distance. Colomba les examina un instant avec une lunette d’approche, qu’elle tira d’une des grandes poches de cuir que tous les Corses portent en voyage.

— Ce sont nos gens ! s’écria-t-elle d’un air joyeux. Pieruccio a bien fait sa commission.

— Quelles gens ? demanda Orso.

— Nos bergers, répondit-elle. Avant-hier soir, j’ai fait partir Pieruccio, afin qu’il réunît ces braves gens pour vous accompagner à votre maison. Il ne convient pas que vous entriez à Pietranera sans escorte, et vous devez savoir d’ailleurs que les Barricini sont capables de tout.

— Colomba, dit Orso d’un ton sévère, je t’avais priée bien des fois de ne plus me parler des Barricini ni de tes soupçons sans fondement. Je ne me donnerai certainement pas le ridicule de rentrer chez moi avec cette troupe de fainéants, et je suis très-mécontent que tu les aies rassemblés sans m’en prévenir.

— Mon frère, vous avez oublié votre pays. C’est à moi qu’il appartient de vous garder lorsque votre imprudence vous expose. J’ai dû faire ce que j’ai fait.

En ce moment, les bergers, les ayant aperçus, coururent à leurs chevaux et descendirent au galop à leur rencontre.

— Evviva Ors’ Anton’ ! s’écria un vieillard robuste à barbe blanche, couvert, malgré la chaleur, d’une casaque à capuchon, de drap corse, plus épais que la toison de ses chèvres. C’est le vrai portrait de son père, seulement plus grand et plus fort. Quel beau fusil ! On en parlera de ce fusil, Ors’ Anton’.