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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/71

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qui lui manque. Voilà les châtaignes venues, et maintenant il n’a plus besoin que de poudre.

— Je vais te donner un pain pour lui et de la poudre. Dis-lui qu’il la ménage, elle est chère.

— Colomba, dit Orso en français, à qui donc fais-tu ainsi la charité ?

— À un pauvre bandit de ce village, répondit Colomba dans la même langue. Cette petite est sa nièce.

— Il me semble que tu pourrais mieux placer tes dons. Pourquoi envoyer de la poudre à un coquin qui s’en servira pour commettre des crimes ? Sans cette déplorable faiblesse que tout le monde paraît avoir ici pour les bandits, il y a longtemps qu’ils auraient disparu de la Corse.

— Les plus méchants de notre pays ne sont pas ceux qui sont à la campagne[1].

— Donne-leur du pain si tu veux, on n’en doit refuser à personne ; mais je n’entends pas qu’on leur fournisse des munitions.

— Mon frère, dit Colomba d’un ton grave, vous êtes le maître ici, et tout vous appartient dans cette maison ; mais, je vous en préviens, je donnerai mon mezzaro à cette petite fille pour qu’elle le vende, plutôt que de refuser de la poudre à un bandit. Lui refuser de la poudre ! mais autant vaut le livrer aux gendarmes. Quelle protection a-t-il contre eux, sinon ses cartouches ?

La petite fille cependant dévorait avec avidité un morceau de pain, et regardait attentivement tour à tour Colomba et son frère, cherchant à comprendre dans leurs yeux le sens de ce qu’ils disaient.

— Et qu’a-t-il fait enfin ton bandit ? Pour quel crime s’est-il jeté dans le mâquis ?

  1. Être alla campagna, c’est-à-dire être bandit. Bandit n’est point un terme odieux ; il se prend dans le sens de banni ; c’est l’outlaw des ballades anglaises.