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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/76

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toujours à cinquante pas de sa maîtresse, et quelquefois s’arrêtant au milieu du chemin pour la regarder en remuant la queue. Il paraissait s’acquitter parfaitement de ses fonctions d’éclaireur.

— Si Muschetto aboie, dit Colomba, armez votre fusil, mon frère, et tenez-vous immobile.

À un demi-mille du village, après bien des détours, Colomba s’arrêta tout à coup dans un endroit où le chemin faisait un coude. Là s’élevait une petite pyramide de branchages, les uns verts, les autres desséchés, amoncelés à la hauteur de trois pieds environ. Du sommet on voyait percer l’extrémité d’une croix de bois peinte en noir. Dans plusieurs cantons de la Corse, surtout dans les montagnes, un usage extrêmement ancien, et qui se rattache peut-être à des superstitions du paganisme, oblige les passants à jeter une pierre ou un rameau d’arbre sur le lieu où un homme a péri de mort violente. Pendant de longues années, aussi longtemps que le souvenir de sa fin tragique demeure dans la mémoire des hommes, cette offrande singulière s’accumule ainsi de jour en jour. On appelle cela l’amas, le mucchio d’un tel.

Colomba s’arrêta devant ce tas de feuillage, et, arrachant une branche d’arbousier, l’ajouta à la pyramide. — Orso, dit-elle, c’est ici que notre père est mort. Prions pour son âme, mon frère ! — Et elle se mit à genoux. Orso l’imita aussitôt. En ce moment la cloche du village tinta lentement, car un homme était mort dans la nuit. Orso fondit en larmes.

Au bout de quelques minutes, Colomba se leva, l’œil sec, mais la figure animée. Elle fit du pouce à la hâte le signe de croix familier à ses compatriotes et qui accompagne d’ordinaire leurs serments solennels ; puis, entraînant son frère, elle reprit le chemin du village. Ils rentrèrent dans leur maison. Orso monta dans sa chambre. Un instant après, Colomba l’y suivit, portant une petite