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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/79

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doute elle se serait enfuie si elle n’eût été retenue par le soin de conserver un gros paquet qu’on voyait sur l’herbe à ses pieds.

Orso eut honte de sa violence.

— Que portes-tu là, ma petite ? lui demanda-t-il le plus doucement qu’il put.

Et comme Chilina hésitait à répondre, il souleva le linge qui enveloppait le paquet, et vit qu’il contenait un pain et d’autres provisions.

— À qui portes-tu ce pain, ma mignonne ? lui demanda-t-il.

— Vous le savez bien, monsieur ; à mon oncle.

— Et ton oncle n’est-il pas bandit ?

— Pour vous servir, monsieur Ors’ Anton’.

— Si les gendarmes te rencontraient, ils te demanderaient où tu vas…

— Je leur dirais, répondit l’enfant sans hésiter, que je porte à manger aux Lucquois qui coupent le mâquis.

— Et si tu trouvais quelque chasseur affamé qui voulût dîner à tes dépens et te prendre tes provisions ?…

— On n’oserait. Je dirais que c’est pour mon oncle.

— En effet, il n’est point homme à se laisser prendre son dîner… Il t’aime bien, ton oncle ?

— Oh ! oui, Ors’ Anton’. Depuis que mon papa est mort, il a soin de la famille : de ma mère, de moi et de ma petite sœur. Avant que maman fût malade, il la recommandait aux riches pour qu’on lui donnât de l’ouvrage. Le maire me donne une robe tous les ans, et le curé me montre le catéchisme et à lire, depuis que mon oncle leur a parlé. Mais c’est votre sœur surtout qui est bonne pour nous.

En ce moment un chien partit dans le sentier. La petite, portant deux doigts à sa bouche, fit entendre un sifflement aigu : aussitôt le chien vint à elle et la caressa, puis s’enfonça brusquement dans le mâquis. Bientôt deux