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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/81

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été bien fâché, je gage. Histoire de régler votre compte à vous. — Allons, curé, dit le bandit à son camarade, à table ! Monsieur Orso, je vous présente monsieur le curé ; c’est-à-dire, je ne sais pas trop s’il est curé, mais il en a la science.

— Un pauvre étudiant en théologie, monsieur, dit le second bandit, qu’on a empêché de suivre sa vocation. Qui sait ? J’aurais pu être pape, Brandolaccio.

— Quelle cause a donc privé l’Église de vos lumières ? demanda Orso.

— Un rien, un compte à régler, comme dit mon ami Brandolaccio, une sœur à moi qui avait fait des folies pendant que je dévorais les bouquins à l’université de Pise. Il me fallut retourner au pays pour la marier. Mais le futur, trop pressé, meurt de la fièvre trois jours avant mon arrivée. Je m’adresse alors, comme vous eussiez fait à ma place, au frère du défunt. On me dit qu’il était marié. Que faire ?

— En effet, cela était embarrassant. Que fîtes-vous ?

— Ce sont de ces cas où il faut en venir à la pierre à fusil[1].

— C’est-à-dire que…

— Je lui mis une balle dans la tête, dit froidement le bandit.

Orso fit un mouvement d’horreur, Cependant la curiosité, et peut-être aussi le désir de retarder le moment où il faudrait rentrer chez lui, le firent rester à sa place et continuer la conversation avec ces deux hommes, dont chacun avait au moins un assassinat sur la conscience.

Pendant que son camarade parlait, Brandolaccio mettait devant lui du pain et de la viande ; il se servit lui-même, puis il fit la part de son chien, qu’il présenta à Orso sous le nom de Brusco, comme doué du merveil-

  1. La scaglia, expression très-usitée.