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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/88

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il le faut. Permettez-le-moi, mon frère. Souvenez-vous qu’à Ajaccio vous m’avez dit d’improviser pour amuser cette demoiselle anglaise qui se moque de nos vieux usages. Ne pourrai-je donc improviser aujourd’hui pour de pauvres gens qui m’en sauront gré, et que cela aidera à supporter leur chagrin ?

— Allons, fais comme tu voudras, Je gage que tu as déjà composé ta ballata, et tu ne veux pas la perdre.

— Non, je ne pourrais pas composer cela d’avance, mon frère. Je me mets devant le mort, et je pense à ceux qui restent. Les larmes me viennent aux yeux, et alors je chante ce qui me vient à l’esprit.

Tout cela était dit avec une simplicité telle qu’il était impossible de supposer le moindre amour-propre poétique à la signora Colomba. Orso se laissa fléchir et se rendit avec sa sœur à la maison de Pietri. Le mort était couché sur une table, la figure découverte, dans la plus grande pièce de la maison. Portes et fenêtres étaient ouvertes, et plusieurs cierges brûlaient autour de la table. À la tête du mort se tenait sa veuve, et derrière elle un grand nombre de femmes occupaient tout un côté de la chambre ; de l’autre étaient rangés les hommes, debout, tête nue, l’œil fixé sur le cadavre, observant un profond silence. Chaque nouveau visiteur s’approchait de la table, embrassait le mort[1], faisait un signe de tête à sa veuve et à son fils, puis prenait place dans le cercle sans proférer une parole. De temps en temps, néanmoins, un des assistants rompait le silence solennel pour adresser quelques mots au défunt. — Pourquoi as-tu quitté ta bonne femme ? disait une commère. N’avait-elle pas bien soin de toi ? Que te manquait-il ? Pourquoi ne pas attendre un mois encore ? ta bru t’aurait donné un fils.

Un grand jeune homme, fils de Pietri, serrant la main

  1. Cet usage subsiste encore à Bocognano.