Page:Méry - La guerre du Nizam, Hachette, 1859.djvu/100

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conservant leur immobilité horizontale, atteignaient au sublime de l’héroïsme, placés comme ils étaient entre les griffes des hommes et les griffes des tigres, sous les ténèbres de la nuit et des bois.

Le moment arriva où le torrent des Taugs entra, pour ainsi dire, dans un lit nouveau, dont les deux rives étaient formées par les soldats de Douglas.

Un sifflement aigu retentit dans les solitudes et fut répété vingt fois par l’écho du lac et des ruines. Trois cents hommes, le poignard et le pistolet au poing, se levèrent au signal du colonel. Les Taugs se levèrent aussi, en poussant des cris surhumains qui semblaient sortir des entrailles d’un volcan. On engagea une lutte formidable qui n’avait pas même les étoiles pour témoins : car l’épais feuillage flottait sur toutes les têtes, et ce champ de bataille, hérissé de spectres, ressemblait au ténébreux souterrain, vestibule de l’enfer. Les Taugs échappés au premier coup de foudre de cette attaque se ruèrent, en désespérés, sur leurs ennemis pour les étouffer dans une étreinte dévorante, ouvrir leurs crânes sous leurs dents de mandrills, et boire un peu de leur sang avant de mourir.

C’est que les Taugs n’ont pas dégénéré des races primitives de l’Inde. La vieillesse du Bengale n’a pu amollir ni leur âme ni leur corps. Ils sont toujours les dignes fils des géants qui ont amoncelé des montagnes, en les ciselant au-dessus et au-dessous de la terre, comme des escaliers de l’enfer ou du ciel. Leurs bras jetés au cou de leurs ennemis étreignaient la chair comme des carcans de bronze, et leurs victimes, en se débattant dans une agonie convulsive, sentaient un souffle ardent et fauve courir sur leurs faces, et voyaient un rire monstrueux éclater dans des caresses de démons.

Au centre de ce tourbillon de duels infernaux, Ed-