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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/113

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Arabique et le golfe de Bengale, pouvait ainsi devenir une province française, avoir des ports sur deux mers, comme Corinthe ; surnommée Bimaris, et envahir progressivement, comme influence ou comme conquête, tout le vaste domaine indien.

» Le cœur patriote de Louis XVI palpita de joie en lisant cette lettre. Qui pouvait, mieux que ce grand prince, comprendre un plan si beau ? N’était-ce-pas lui, d’ailleurs, qui en avait préparé la réussite dans sa haute sagesse ? N’avait-il pas envoyé Lapeyrouse et Lamanon parler de la France pacifique au Mysore, et le bailli de Suffren parler de la France militante au commodore Johnston ?

» Pendant que Louis XVI relisait cette merveilleuse lettre, une foule de gentilshommes attendaient le petit lever à l’Œil-de-Bœuf. M. d’Entraigue avait la parole et il racontait l’étourdissante soirée de la veille, le triomphe de Figaro.

» Il y avait là un homme qui attendait aussi le lever du roi : c’était le bailli de Suffren. Personne ne prenait garde à lui. On ne parlait que du barbier et de Bridoison.

» Le marin provençal lança un regard de foudroyant dédain sur ces gentilshommes et leur dit :

Sa dé darnagas é d’arléris.

— Pardon, monsieur, lui dit d’Entraigue, veuillez bien nous expliquer votre hébreu.

» L’amiral leur tourna les épaules et n’expliqua rien. Au reste, il est impossible de donner dans une langue quelconque le sens vrai de cette phrase provençale ; elle renferme en élixir toute l’ironie et le mépris que l’amiral avait dans son cœur : c’était une bordée de syllabes fulminantes tirée à brûle-pourpoint de bâbord et de tribord.