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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/230

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La vérité veut pourtant qu’on dise qu’un Turc dévoué, posté derrière la plaque du tir, cassait l’œuf avec un bâton, toutes les fois que le sultan pressait la détente de sa carabine ; mais ce fait d’histoire une fois éclairci, n’en parlons plus.

Le sultan caressa voluptueusement avec sa main l’ambre de sa pipe, et présenta la noix à un jeune icoglan, qui mit le feu au tabac de Laodicée, le plus doux de tous les tabacs des manufactures des pachas connaisseurs. Une fumée iris monta lentement vers le plafond de glaces, et le sultan aspira mollement cette divine et subtile émanation.

Ce grand homme était couché à demi sur un divan, et pour mieux jouir de son bonheur opiacé, il congédia d’un ton brusque icoglans et eunuques, et il resta seul.

Ses yeux exprimaient une béatitude ineffable ; il les ouvrait et les refermait à chaque aspiration, et suivait de l’œil, dans le plafond, les arabesques bleuâtres que la fumée décrivait sur les glaces de la république de Venise. Tout à coup, à force de suivre ce jeu fantasque de la fumée, il crut voir, dans ce plafond de glaces, quelque chose qui n’était pas lui. Cette découverte a quelque chose d’effrayant. On frissonne à cette seule idée qu’une nuit, en déposant son flambeau devant un miroir, on peut découvrir, dans ce miroir, une figure tout à fait inconnue, qui vous regarde avec des yeux railleurs. On prétend que cela s’est vu.

Le sultan vit, ou d’abord crut voir dans les glaces du plafond un jeune Européen, en costume assez léger, fumant une pipe sur un divan, à côté d’une odalisque.

La première idée du sultan fut de regarder dans la cham-