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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/204

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[vers 3555]
LE LIVRE

Pour poulés, & pour lappereaus,
Et pour frommages ſautereaus ;
À dire eſt, frommages de Brie.[1]
Si que toute la compagnie
Par accort ſoupames enſemble
En un vergier, qui bien reſſemble
De douceur le biau paradis
Qu’Eve & Adans eurent jadis.
Car tant eſtoit vert & flory
Que, qui ſeroit ou pilori,
Dou véoir ſe esjoïroit,
Et ſa honte en oublieroit.
Là ſoupames bien & attrait ;
Et là ma douce dame a trait
Maint trait à moi, pour moy attraire,
Qui eſtoie ſiens, ſans retraire ;
Car elle ſcet bien qu’elle m’a,
Dès que ſon ami me clama.
Là fumes ſervi de dous lais,

  1. À dire eſt. C’eſt-à-dire. — Sautereaus, qu’on ne trouve pas dans les gloſſaires, avoit le ſens de meſſier, moiſſonneur. Voyez Du Cange, au mot Saltarius. Fromages ſautereaus ſont donc fromages de moiſſon, nommés encore fromages de gain ; ce dernier mot ayant le ſens d’automne &, par extenſion, de moiſſon. De là gagner, pour moiſſonner, & notre regain, ſeconde moiſſon. Ce furent donc des fromages de Brie que l’abbé de Saint-Denis avoit envoyés à ſaint Louis : « L’abbé de S. Denis en France, » diſent les Grandes Chroniques, « fu en moult grant paine & en moult grant penſée quel preſent il envoieroit au Roy en la terre d’Oultremer. Si lui fu loé qu’il luy envoiaſt fourmages de gain ; que c’eſtoit une viande de quoy les barons de France avoient grant ſouſfraite. L’abbé crut le conſeil ; ſi envoia deux moines à Aiguemorte pour avoir une nef, laquelle il firent emplir de chapons & poulles & de fourmages de gain & de pois de Vermandois… De leur venue fu le Roy moult lie & toute ſa compaignie. » (À l’année 1252.)

    Dans mon édition des Grandes Chroniques je n’avois pas bien entendu cette acception des mots fourmages de gain.