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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/214

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[vers 3830]
LE LIVRE

Ma dame l’enſeveli
Et Amours, par ſi
Que ſa mort ſuft toſt plourée.
N’onques Honneur ne ſouffri
(Dont je l’en merci)
Que meſſe li fu chantée.
Sa charongne traïnée
Fu ſans demourée
En un lieu dont on dit : fi !
S’en fu ma joie doublée,
Quant Honneur l’entrée
Ot dou treſor de merci.
Onques ſi bonne journée, &c.[1]

Après, Venus s’eſvanuy,
Et en ſa nue s’en fuy.
Je demouray tous esbahis,
Et auſſi com tous eſtahis :[2]
Et ma dame eſtoit esbahie,
Et un petitet eſtahie.
Adont doucement l’aparlay,
Et par ceſte guiſe parlay :
« Douce ſuer & douce compaingne,
« Je ne cuit que jamais aveingne
« À .ii. amans n’à créature,
« Nulle ſi plaiſant aventure,
« Si douce n’à tant d’onheſté,
« Comme ceſte-ci a eſté.

  1. On pourra ſourire de cette façon de laiſſer entendre tout ce qui dut ſe paſſer entre le poëte & ſa jeune amie ; & cette invocation à Vénus, déeſſe de volupté, qui intervient ſans donner priſe à Danger, c’eſt-à-dire aux refus de la belle. Mais au moins conviendra-t-on qu’on ne pouvoit raconter d’une manière plus délicate une converſation de ce genre. On peut, à la rigueur, admettre que les exigences de Machaut furent fatisfaites, ſans anticipation ſur les droits d’un futur époux.
  2. Extaſié, en extaſe. Ce mot n’eſt pas dans les Gloſſaires.