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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/113

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P. PERRAULT

chez Marc Aubertin qu’une fièvre cérébrale se déclara dans la nuit.

Mme Calixte Lavaur étant aux eaux d’Amélie-les-Bains avec sa belle-mère et ses enfants, on dut le laisser au collège.

Sa mère ne vint pas : l’aîné de ses fils était malade et donnait même de l’inquiétude, écrivait-elle.

Surchargé de travail, M. Lavaur ne pouvait faire auprès de son neveu que de courtes apparitions.

Pierre entendit un jour le surveillant général donner ces détails à son professeur. Déjà torturé par le remords, il sentit son cœur se fondre de pitié. À la récréation du soir, au risque de se casser la jambe, il se donnait exprès une entorse, afin d’être admis à l’infirmerie.

Constatant ses regrets — il avait spontanément avoué au principal les causes de l’accident — et l’attention avec laquelle il veillait sur le petit malade, on lui permit d’aider à le soigner.

C’est lui qui se trouvait à son chevet quand, pour la première fois, le petit abandonné reprit conscience de lui-même.

Dès qu’il se vit reconnu, Pierre se laissa glisser à genoux et implora son pardon en pleurant.

Marc lui passa les bras autour du cou et, sa joue appuyée contre la sienne :

« Je ne t’en veux pas, va, dit-il. N’aie point de chagrin. Ça n’en vaut pas la peine. On ne m’aime pas chez nous. On aurait été bien débarrassé si j’étais mort.

— Moi je t’aimerai pour ceux qui ne t’aiment pas », promit Pierre, tellement navré de voir Aubertin se rendre compte de l’abandon où les siens l’avaient laissé, que ses larmes devinrent des sanglots convulsifs.

Il fut une ou deux minutes avant de parvenir à recouvrer la parole.

Mais il voulait aller jusqu’au bout de ce qu’il avait à dire. Dominant la violence de son émotion, il reprit tout d’une haleine :

« Si tu veux de mon amitié, elle ne te manquera jamais ! jamais ! en aucune circonstance de ta vie, je te le jure. Tu passeras avant moi, avant tout. Tu as eu de la misère au collège : c’est fini, sois tranquille. Tu auras ta part de bonheur comme les autres. Et je n’en prends pas l’engagement sans savoir ce que je dis, ni pour un temps… C’est pour toujours que tu as en moi un frère. »

Pierre tint parole.

Lorsqu’après une convalescence de trois mois, passée en pleine montagne, le comte de Trop reparut au collège, il fut accueilli cordialement par ses condisciples, à qui Marcenay avait conté son abandon et son enfance triste.

Puis, comme la mémoire de Marc se ressentait encore de sa récente maladie, et que son père l’eût peut-être privé de vacances s’il n’avait point eu de prix, Pierre lui expliqua ses leçons, les lui apprit, et lui fit faire ses devoirs chaque jour avec une infatigable patience.

Instruite de ces faits par son filleul, qui ne cessait de vanter son ami, Mme Lavaur voulut connaître Pierre. Elle l’invita les jours de sortie. C’est alors qu’on jouait au cirque et que « la toute petite Gaby » se faisait dire des contes et construire une maison pour son chat.

Depuis, la vie avait plusieurs fois séparé les deux amis.

Après sa ruine, M. Aubertin, ayant découvert une situation à Paris, s’y était fixé. Il y appela son plus jeune fils, sitôt ses études finies, pour lui faire faire son droit.

Marc n’avait plus qu’un frère : les deux aînés étaient morts. Mais c’est sur le troisième de leurs enfants que s’était reportée la tendresse de M. et Mme Aubertin. L’autre… il était encore, il resterait toujours le comte de Trop.

Lorsqu’il avait fallu l’installer, pour faire l’économie d’une chambre au sixième, on lui avait monté dans le salon un lit pliant qu’on fermait le matin.

Pas un coin de l’appartement où il se sentît chez lui, libre de se recueillir et de travailler dans une solitude inviolée. Où qu’il déposât son bagage d’étudiant, quelqu’un survenait, qui lui réclamait la place. Son frère, il est