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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/116

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POUR L’HONNEUR

à le comprendre comme à la plus sérieuse des études. Ils passaient de bons moments, tous les deux.

La grand’mère en était complice. Lorsqu’elle voyait sa petite-fille quitter le salon, jamais elle ne faisait d’observation, si ce n’est pour dire :

« Oui, va faire un tour, mon enfant. À ton âge on a besoin de marcher. »

Mme Saujon n’était point informée du but de ces promenades ; pourquoi le révéler ? La leçon n’eût pas été comprise.

« Les yeux de bonne maman » eussent été pourtant bien nécessaires au salon, car, abusant de la vue faible de son adversaire, Caroline trichait effrontément : elle appelait cela « prendre ses avantages ».

Ce petit manège n’avait point échappé à Gabrielle, mais elle s’était gardée d’intervenir. Qu’importait ! puisque, même en perdant, sa grand’mère prenait plaisir à jouer : c’était affaire entre Mme Saujon et sa conscience…

Les jours de fête, pour Gaby, étaient ceux où, dès le matin, le grand break de son père roulait sur le sable des allées.

Toute la famille en descendait, et le jardin retentissait bientôt des bruyants ébats des fillettes, à la joie de leur sœur aînée, qui, à présent qu’elle les avait rarement autour d’elle, aimait jusqu’à leur tapage.

Depuis deux semaines, cette diversion au silence, qui l’oppressait un peu, lui était quotidiennement offerte.

Inséparables et ne parvenant jamais à s’entendre, Blanche et Jeanne emplissaient l’enclos de leurs rires ou de leurs disputes.

Elles ne ressemblaient à Gabrielle en aucune façon, ces deux petites.

Avec ses yeux bruns, ses cheveux noirs ondés flottant librement sur ses épaules, son visage mutin, résolu, sa taille élancée, ses gestes brusques, Blanche surtout était l’opposé de sa sœur : franche et rieuse, mais si mauvaise tête ! encore qu’elle se prétendit sans cesse occupée à réformer son caractère.

Le jour de l’arrivée de Marcenay, de retour à la maison, Gabrielle voulut la raisonner un peu. L’étourdie protesta, selon sa coutume :

« Je ne peux pas dominer mon impatience. Je m’applique, cependant, je te l’assure, Gaby.

— Que serait-ce alors si tu ne t’appliquais pas ?

— Je voudrais bien t’y voir, gémit Blanche plaisamment. Jeanne et toi, vous vous êtes adjugé tout ce qu’il y avait de qualités dans le paquet destiné à la famille : il ne m’est resté que les défauts. Pour m’en débarrasser, ce n’est pas un petit travail ! Il est vrai, maman, afin de m’y aider, m’a fait présent d’un trésor : Livre de la jeune fille au pensionnat et dans la famille. Je l’indique à toutes mes amies.

— Mais tu ne le lis pas.

— Tous les jours une page, ainsi que je l’ai promis à petite mère. Seulement… je ne sais comment je m’arrange, je ne découvre jamais que le lendemain le conseil dont j’aurais eu besoin la veille.

« Allons, Gaby, reprit-elle, suppliante, ne me gronde plus. Parle-moi de M. Marcenay. Tu l’as vu, n’est-ce pas ?

— Oui.

— C’est joli, l’uniforme de sous-officier de dragons ?

— Très joli.

— Que t’a-t-il dit de Marc ?

— Nous en avons peu parlé.

— Moi, c’est de mon cousin que je me serais informée tout d’abord », observa Blanche, empressée à saisir l’occasion de critiquer à son tour.

Mais sa sœur riait.

« N’empêche qu’il a passé après M. Marcenay et son uniforme. Rassure-toi, j’ai de ses nouvelles ; il va bien. Nous le verrons en octobre, cela est à peu près sûr. Voilà tout ce que m’en a dit M. Pierre. Au reste, nous n’avons pas causé longtemps.

— Pas longtemps ! Vingt bonnes minutes ! »

Et, d’un ton boudeur :

« Venir au mois d’octobre ! singulière idée qu’a le comte de Trop. Les vacances seront finies. »