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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/141

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ED. GRIMARD

sont les descendants de ceux dont se composait l’antique et immense forêt Hercynienne qui, autrefois, s’étendait du Piémont à la Baltique, et il faut aller visiter nos grandes forêts de Fontainebleau et de Compiègne, si l’on veut se faire une idée de la majesté de certains vieux colosses qui, depuis des siècles, luttent contre toutes les causes de destruction et ont résisté à tant de tempêtes. Dans le midi de l’Europe, on trouve certaines espèces de chênes dont les glands sont doux et comestibles. Nos ancêtres s’en nourrissaient, paraît-il, mais nous qui avons bien d’autres choses à manger, nous nous contentons de faire avec la farine de ces glands la préparation dite racahout des Arabes, en même temps que d’en tirer, par la torréfaction, une sorte de café rafraîchissant qu’aiment certains consommateurs.

L’écorce de chêne renferme en forte proportion un principe astringent appelé Tanin et, réduite en poudre grossière, elle constitue le tan employé au tannage des cuirs, et utilisé ensuite pour la confection des mottes à brûler. Ajoutons encore que c’est avec le tanin que renferme particulièrement une certaine excroissance du chêne appelée noix de galle que l’on fabrique l’encre à écrire.


Parmi les nombreuses variétés du genre chêne, il en est une dont l’importance est capitale, c’est le chêne-liège. Cet arbre croît principalement dans le midi de la France, en Espagne, en Italie et dans l’Afrique septentrionale. Le liège est le résultat du développement extraordinaire que prend l’une des couches supérieures de l’enveloppe corticale, appelée couche subéreuse.

Le chêne-liège commence à fournir ce produit vers l’âge de douze a quatorze ans, mais le liège de cet âge, poreux et de texture inégale, ne peut servir qu’à faire des bouées, des lièges de filets et autres objets grossiers. Ce n’est que vers l’âge de vingt-cinq ans que les produits affinés de cet arbre précieux peuvent être employés pour la fabrication des bouchons de qualité supérieure. La récolte a lieu tous les huit ou dix ans, aux mois de juillet et d’août. On fait, en haut et en bas du tronc, une profonde incision circulaire, et ces deux incisions sont réunies par une coupure longitudinale qui permet aux ouvriers chargés de cette besogne toute spéciale d’enlever, au moyen de coins et de leviers, l’enveloppe subérale tout entière — sans toucher, bien en tendu, au liber qui s’applique sur le bois même de l’arbre et dont les lésions occasionneraient à bref délai la mort du chêne qu’on écorcherait ainsi tout vif. Cette opération, faite avec tous les ménagements nécessaires, peut être renouvelée huit ou dix fois au cours de l’existence de l’arbre, qui peut atteindre l’âge de quatre-vingts ou cent ans, sinon davantage.

Dès que ce manteau de liège est enlevé, on l’étend dans un long baquet rempli d’eau et on le charge de grosses et lourdes pierres qui le redressent peu à peu et lui donnent la forme de larges plaques rectangulaires que l’on fait sécher très lentement, pour leur conserver toute leur flexibilité. Ces plaques, longues d’un mètre cinquante à deux mètres, sont ensuite dégrossies à la râpe, puis livrées aux ouvriers spéciaux chargés de la confection des bouchons de tous calibres.

Cette industrie ne s’est répandue que vers le xviie siècle, et a coïncidé avec la fabrication des bouteilles, fioles et flacons de verre dont il n’est fait mention nulle part avant le xve siècle. Les rognures, râpures et déchets de toutes sortes qui proviennent du liège servent à fabriquer le noir d’Espagne, qui est un charbon très léger d’un très beau noir et d’un excellent usage dans la composition des couleurs.


(La suite prochainement.) Ed. Grimard.