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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/158

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COLETTE EN RHODESIA

çait indomptable, le fez sur l’oreille, l’œil insolent et la parole gouailleuse.

« Très noble et très puissant seigneur, commença-t-il d’un ton emphatique (s’adressant à M. Massey qui s’était avancé jusqu’au parapet de la terrasse pour l’écouter et pour lui répondre), très honoré maître de cette noble tour abandonnée, de tant de greniers dévastés, de Masseydorp et autres lieux, c’est d’une âme déchirée que je vous vois en si triste condition ! Vous, fait pour le trône ! Vous, justicier et législateur, tombé avec tous les vôtres dans une vile souricière !… Ah ! croyez-moi, à tout cœur bien placé ce spectacle arracherait des larmes !… »

Du coin de son œil faux, le Levantin surveillait le visage de son interlocuteur, espérant y surprendre les signes de désespoir dont avait soif son âme basse ; mais la physionomie deM. Massey était demeurée impassible, et le petit groupe placé un peu en arrière de lui semblait discourir avec animation, sans plus s’occuper du sieur Benoni que s’il n’eût pas existé.

Ce mépris silencieux était justement ce qui pouvait le mieux piquer l’amour-propre du vaniteux parlementaire et, saisi d’un accès de rage soudain, il s’interrompit au milieu d’une période mielleuse pour crier brutalement : « Voici mon ultimatum, et je n’en rabattrai pas ceci (en faisant claquer un ongle noir sur une dent plus noire encore) : 1o, on va me livrer les deux cents sacs de poudre qui sont restés dans le souterrain : je connais la place, je connais le nombre, inutile de vouloir me tromper ! 2o, on me livrera l’éléphant ; j’ai besoin de cette brute pour transporter les sacs (et pour d’autres raisons, marmotta-t-il dans sa barbe) ; 3o, on me livrera également tous les chevaux disponibles pour ledit transport !… À ces conditions, je me retire avec ma troupe. J’ai dit ! »

Sans hâte et sans même honorer d’un regard le Levantin, M. Massey quitta le parapet où il appuyait le coude négligemment, et, allant et venant sur la terrasse, il échangea quelques paroles avec les siens ; cinq minutes plus tard il faisait face de nouveau à Benoni.

« Or ça, ricana celui-ci triomphant déjà, la délibération n’a pas été longue !… Il paraît que nous en sommes à notre dernière croûte de pain ?… les belles dames n’ont pas envie de faire connaissance avec viande de cheval ?…

— Voici ma réponse, dit M. Massey, esquissant le geste d’un homme qui chasse quelque insecte répugnant. Nous repoussons avec mépris chacune de vos conditions et nous vous ordonnons de vous retirer sans délai. Nous avons répondu à votre signal par un signal de paix ; votre peau nous est donc sacrée pendant tout le temps qui vous est nécessaire pour la retraite. Je vous donne un quart d’heure : si dans quinze minutes, vous n’avez pas purgé ces lieux de votre présence, je fais feu sur vous sans miséricorde : n’espérez pas de merci… Vous savez qu’on peut compter sur ma parole. »

La stupeur, la rage, l’incrédulité, le désappointement, tous les sentiments enfiellés et venimeux se disputèrent un moment la face abjecte de maître Benoni ; après quoi, obéissant à la fatalité, il tourna sur ses talons, suivi de ses acolytes et, sans tarder, se mit hors de vue, derrière la colline fleurie des Pétunias, où une partie de ses forces était établie.

Par une alliance d’idées toute naturelle, ce mouvement même apporta à Gérard le principe de la solution tant cherchée. « C’est à la poudre qu’ils en veulent… Il faut leur en donner, de la poudre K !… » dit-il à son frère.

Et tout de suite il indiqua le plan stratégique qui venait de se faire jour dans son esprit.

La colline des Pétunias se trouvait précisément sur le trajet de la galerie souterraine utilisée par M. Weber en guise de laboratoire et d’arsenal. Concentrer la poudre K sous cette position centrale des assiégeants, y amener, s’il était possible, toutes les forces de l’ennemi par une attaque simultanée sur les deux ailes ; puis les faire sauter — tel était le plan… Il ne s’agissait plus que d’en régler l’exécution.

Adopté d’enthousiasme par tous les assié-