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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/169

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formait une ville importante dont le commerce prenait d’année en année une plus grande extension. Elle offrait un port très abrité sur le détroit de Tartarie, qui sépare le littoral de la longue île de Sakhalin.

Peut-être, dans l’esprit de Jean-Marie Cabidoulin, l’échouage du Saint-Enoch avait-il ouvert l’ère des mauvaises chances. Non point que le tonnelier se fût expliqué à ce sujet d’une façon catégorique ; mais il n’aurait pas fallu le pousser très vivement.

À noter toutefois que le début de cette campagne dans la mer d’Okhotsk ne fut pas heureux.

Pendant la matinée, une baleine souffla à deux milles environ, — une baleine franche, sur laquelle M. Bourcart fit amener les quatre pirogues. En vain se mirent-elles à sa poursuite. Impossible de la revoir, après qu’elle eut plongé à trois reprises, et tout à fait hors de portée.

Le lendemain, même tentative, même insuccès. Les embarcations revinrent à bord sans que les harponneurs eussent lancé le harpon.

Ce n’étaient donc pas les baleines qui manquaient dans cette mer. Quelques autres furent encore signalées par les vigies. Mais très farouches ou très effarouchées, elles ne se laissaient pas rejoindre. Les navires en vue étaient-ils plus favorisés ?… Il n’y avait pas lieu de le croire.

On se figure aisément que l’équipage en concevait un très légitime dépit. Plus que quiconque enrageait le lieutenant Allotte, et on pouvait craindre que, le cas échéant, il ne s’abandonnât à quelque imprudence, malgré les recommandations réitérées de M. Bourcart.

Celui-ci prit alors la résolution de conduire le Saint-Enoch aux îles Chantar, où il avait déjà passé deux saisons dans des conditions excellentes.

Trois mois plus tôt, les baleiniers de la mer d’Okhotsk eussent rencontré les dernières glaces de l’hiver. Non encore désagrégées ou fondues, elles auraient rendu la pêche moins facile. Les navires sont contraints d’élonger les ice-fields, afin d’en contourner l’extrémité. Souvent même, deux ou trois jours s’écoulent avant qu’ils découvrent une clairière qui leur permette de faire bonne route.

Mais, au mois d’août, la mer est entièrement libre, même en sa partie septentrionale. Ce qu’il y avait plutôt à craindre, c’était la formation des « young-ices », les jeunes glaces, avant que la seconde campagne du Saint-Enoch eût pris fin.

Le 29, on eut connaissance des îles Chantar, groupées au fond de la baie, dans cette crique resserrée qui échancre plus profondément le littoral de la province de l’Amour.

Au-delà s’ouvre une seconde baie, nommée baie Finisto ou du Sud-Ouest, qui n’offre pas beaucoup de fond. Le capitaine Bourcart la connaissait et vint y reprendre son ancien mouillage.

Là se produisit un nouvel accident — très grave cette fois.

Au moment où l’ancre touchait, deux matelots venaient de se hisser à la vergue du petit hunier afin de dégager une des manœuvres du mat de misaine.

Lorsque la chaîne de l’ancre fut raide, maître Ollive reçut l’ordre de faire amener les huniers. Par malheur, on oublia de crier aux matelots de se défier et de bien se tenir.

Or, à l’instant où, les drisses larguées, la voile retombait à la hauteur du chouque, l’un des matelots avait une jambe sur les haubans, l’autre sur le marchepied de la vergue. Surpris dans cette position, il n’eut pas le temps de s’accrocher par les mains aux haubans, et, lâchant prise, il tomba sur le bord de la pirogue du second, puis fut rejeté à la mer.

Cette fois, cet infortuné, — il se nommait Rollat et n’avait pas trente ans, — moins heureux que son camarade qui, on ne l’a pas oublié, avait été sauvé dans des circonstances identiques sur les parages de la Nouvelle-Zélande, disparut sous les flots.

Aussitôt le canot fut mis dehors en même temps que des bouées étaient lancées par-dessus les bastingages.

Sans doute, Rollat s’était grièvement blessé, peut-être un bras ou une jambe cassés. Il ne