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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/185

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ANDRÉ LAURIE

mois. En recevant une telle compensation, il sera loin de regretter le souci causé par cette aventure. Tout son avoir fût-il enfermé dans ce portefeuille, ce qui semble peu vraisemblable, il ne se trouve pas entièrement démuni : mes huit mille francs lui restent. C’est de quoi lui permettre d’attendre… »

« Parvenu à ce point de mes déductions, je m’efforçai de me rappeler si je n’avais rien mis, ni lettres, ni note quelconque, avec mes billets de banque. Mais non : mes cartes, mes papiers, j’avais tout avec moi dans le petit agenda qui était mon vade-mecum.

« La certitude que le soupçon ne pouvait m’atteindre emporta mes dernières hésitations. Seulement… je mis cinq ans à réaliser la fortune espérée. Écrire après ce long temps écoulé n’était plus possible. Il me fallait aller moi-même en France faire mes recherches, et obtenir le pardon de mon silence par le demi-million rendu comme intérêts.

« Je me disposais au départ lorsque la faillite de mon banquier me rejeta dans une situation voisine de la misère.

« Le Mexique était fort troublé à cette époque. Maximilien venait de payer de sa vie le triste bonheur d’avoir régné ; les factions avaient beau jeu. Ah ! les dures années !

« Mais l’expérience acquise me permit de rétablir mes affaires malgré l’insécurité du pays.

« Je louai d’immenses prairies, j’y élevai du bétail qui prospéra : en dix ans j’avais reconquis le million perdu ; une année de sécheresse me ruina de nouveau. Mes bœufs, mes moutons mouraient par milliers.

« Découragé, cette fois, je fus sur le point de renoncer à la lutte. Ce qui me rendit le courage de tenter la chance quand même, c’est mon désir de revoir la France et tous les miens, joint à l’impérieux besoin, dont j’avais l’âme hantée, de réparer ma faute, de me sentir absous…

« Et au moment où tout est aplani, où je vois se rapprocher l’heure de la réhabilitation, je meurs… Ah ! j’ai trop tardé !… Dieu n’est pas avec moi. Il m’a envoyé l’un de ses serviteurs, cependant… c’est donc qu’il pardonne ?

« En léguant à mon neveu et à mon frère tout ce que je possède, je leur lègue le devoir de désintéresser celui que j’ai involontairement dépouillé et sciemment volé, pourtant !…

« Il m’est venu parfois à la pensée, surtout en ces derniers mois, que de grands malheurs, combien ! combien ! avaient pu prendre leur source dans la perte de cet argent.

« Sachant mon frère dans l’impossibilité d’agir, c’est Pierre que je charge de réparer mon crime. Et, d’avance, sûr qu’il ne faillira point à cette tâche, je le bénis pour sa charité envers mon âme tourmentée.

« Philippe-Odile Saujon.

« Vera-Cruz, le 10 septembre 1888. »

P. Perrault.

(La suite prochainement.)


LES CHERCHEURS D’OR DE L’AFRIQUE AUSTRALE

COLETTE EN RHODESIA
(La guerre au Transvaal)
Par ANDRÉ LAURIE

XVIII

L’exode vers la France.


L’heure de la délivrance avait enfin sonné. De l’armée disparate de Benoni, il ne restait plus rien. Tout ce qui n’avait pas sauté en l’air sous le coup de l’explosion, pour retomber en lambeaux et membres épars, au fond du gouffre qui remplaçait la ci-devant